SOMBRE DUCASSE (version justifiée) sombre ducasse des jours et des jours des nuits et des nuits je flotte dans l’espace je ne peux pas rejoindre mon vaisseau ce matin il a gelé à nouveau l’air se vicie dans mon scaphandre il serait temps que j’arrive ailleurs je ne sens plus mes doigts engourdis mes poèmes je les écris en plusieurs fois je n’ai plus de mémoire vive mon café je l’ai laissé beaucoup bouillir dans les derniers kilomètres je me déplace dans une contrée pour laquelle on n’a dressé aucune carte donc je m’allonge et j’écoute toute la musique de temps en temps des points lumineux glissent devant mes yeux J’AI LES YEUX OUVERTS entrez dans la danse dans la danse et voyez comme on danse sautez dansez et embrassez qui vous voudrez je connais trop de monde je plane sur une orbite géostationnaire ne quittez pas il est bientôt trop tard NOUS N’AVONS RIEN À PERDRE NOUS N’AVONS RIEN À GAGNER les esclaves de nulle part se rincent les doigts dans la cuisine prose-épine le feu des fusils à canons sciés chauffe ils dégoulinent koulaks dans un évier planétaire leurs chuchotements impurs sont masqués parmi les bruits de toux urbaine similaire les justiciers jupe relevée pataugent dans les débris des assemblages scolaires audiovisuels je rêve cette promenade depuis longtemps dans des bureaux encrassés leurs murs lacérés de graffitis n’est-ce-pas les jeunes enfants destinés à l’espace se tiennent au courant comprennent toute la situation à l’écart du tumulte sur la place du village devant les stèles [...]
Ph., G.AdC Photos, G.AdC
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LUCIEN SUEL Source ■ Lucien Suel sur Terres de femmes ▼ → [Le terril] → La Justification de l’abbé Lemire (lecture d’AP) → 29 juin 1878 | Lucien Suel, La Justification de l’abbé Lemire, IV ■ Voir aussi ▼ → (sur remue.net) Ivar Ch’Vavar & camarades | Le Jardin ouvrier → (sur remue.net) Lucien Suel | Ma vie avec Ivar Ch’Vavar → Silo-ACADEMIE 23, le blog de Lucien Suel → (sur la revue x) une notice bio-bibliographique sur Lucien Suel → (sur le tiers livre) tiers livre invite : Lucien Suel → (sur blog littéraire) Rencontre avec Lucien Suel → Canchon d'ech'l airignies, une chanson écrite et mise en musique par Konrad Schmitt → (sur Wikipedia) l'article Ivar Ch'Vavar (rédigé par un proche d'Alain Marc) |
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J'aimerais savoir en quelle année a été écrit ce poème. Il me replonge dans cette révolte des années 60 qui a commencé par le langage, le Rock, la Beat Generation, la route, l'errance, l'impossibilité de communiquer, d'écrire du lisible. Les mots ça saignait, ça coulait, monotone. Une révolte d'asphyxie. Je me souviens : The Wall. Les années 80. Alan Parker.
Ce mur... Comme le scaphandre de ce poème. Cette quête d'un sens, d'un refuge, ce rythme. Je crois que c'est le rythme du poème qui a rapporté tout cela du passé comme du refoulé.
Un trajet mental qui flirte avec la folie et qui se bride (vers justifiés) pour ne pas sombrer dans du rien.
Etrange que vous introduisiez ce poème en référence aux fêtes picardes de votre adolescence... Je pense à Rimbaud... à Kérouac... à Lautréamont...
Rien n'a vraiment changé...
Mother... la Guerre... et les gosses que l'on veut modeler... alors qu'il n'y a pas de demain assuré... TRES BEAU.
Rédigé par : Christiane | 10 mars 2009 à 22:34
La chanson d'ech'l airignies, écrite et mise en musique par Konrad Schmitt et dont Ivar Ch'Vavar s'est fait le passeur, est aussi magnifiquement interprétée par Christian Edziré Déquesnes et ses différents groupes : Chés Déssaquaches, Chés Éclichures et (2)Brokes (voir ICI).
Sinon, il faut aussi signaler le recueil de textes du même nom paru aux éditions le Mort-qui-trompe (infos ICI).
Rédigé par : Alain Marc | 11 mars 2009 à 09:35
Grand bravo pour la mise en avant de la version justifiée de Lucien Suel qui, à mon humble avis, est toujours la plus forte et la plus intéressante. Voir aussi à ce sujet le choix des éditions du Marais du livre qui ont premièrement hésité à publier Visions d'un jardin ordinaire en vers justifiés comme il avait été écrit à l'origine tout en publiant un extrait sous cette forme sur leur site. Canal mémoire, quelque temps après, a heureusement été publié en vers justifiés par le même éditeur, ce que ne traduit malheureusement pas sa présentation en ligne...
Rédigé par : Alain Marc | 11 mars 2009 à 09:46
=> Christiane
Dans Sombre Ducasse ont été rassemblés les principaux textes de Lucien Suel (né en 1948), écrits entre 1958 et 1986 et publiés dans différentes revues : Hercule de Paris, The Starscrewer, Jungle, La Poire d’angoisse, La Riguinguette, etc.
Rédigé par : Webmestre de TdF | 11 mars 2009 à 14:13
Merci Yves.
Les deux commentaires précédents sont très intéressants aussi.
Rédigé par : Christiane | 11 mars 2009 à 18:27
ça me fait penser (hors sujet) à Isidore Ducasse... ni ciel, ni ténèbres mais un goût des Chants de Maldoror
Rédigé par : Sylvaine | 11 mars 2009 à 18:54
Les liens ouverts par les commentaires sont toujours passionnants. Je viens, grâce à celui de Sylvaine, de prendre connaissance de la thèse de Aude Le Calvé (Les Chants de Maldoror) et c'est passionnant. J'ai particulièrement apprécié la première et la dernière partie (origine de ce mot mystérieux - combats littéraires, poésie surréaliste, écriture automatique de l'inconscient...). Cela donne une épaisseur à tout ce qui bouge en nous à la lecture de ce poème de Lucien Suel, Sombre Ducasse. Merci.
Rédigé par : Christiane | 12 mars 2009 à 09:33
Merci à vous, chère Angèle Paoli.
Pour répondre à Christiane, ce poème a été écrit une première fois en vers libres en 1985, puis repris & composé en vers justifiés en 2000, mais la fin de l'extrait présenté ici à partir de NOUS N'AVONS RIEN... a été écrite vers 1976...
Pour ce qui est du titre, ducasse fait référence aux fêtes de mon enfance, aux manèges et aussi à la découverte de Lautréamont dans mon adolescence.
J'ai publié beaucoup d'autres poèmes en vers justifiés sur mon blog Silo-ACADEMIE 23, et pour ne pas avoir de problèmes, j'utilise la police courier.
Bonne journée à vous.
LS
Rédigé par : Lucien Suel | 12 mars 2009 à 12:33
=>à Lucien Suel
Bonjour cher planteur de mots et merci de votre présence.
Je suis retournée dans vos terres (puisque Yves les avait mises en lien) mais j'ai déroulé lentement le long ruban des mots. Ça tourne comme les manèges de vos ducasses, c'est libre et impertinent comme l'adolescence et c'est carré comme les parcelles des petits jardins ouvriers de ma banlieue.
J'aime beaucoup vos dessins libérés de la contrainte du bon sens.
Vous écrivez, entre deux sillons : « le ciel rime avec poubelle ». C'est ce qu'Angèle a écrit à sa façon, hier...
Vous vous croisez comme des migrants des mots, comme ceux que vous accueillez dans vos poèmes.
Mal d'aurore
mal d'horreur
mal à mort
remords
J'aime le anti-héros que vous êtes.
Merci
Rédigé par : Christiane | 12 mars 2009 à 13:18
=> Christiane, Lucien
En faisant la préparation de copie, je me suis surpris à dire, et ce à plusieurs reprises, Sombre Dimanche au lieu de Sombre Ducasse... Ce lapsus se comprend d'autant plus que l'on retrouve dans Sombre Dimanche les paroles : MES YEUX SERONT OUVERTS, ce qui n'est pas très éloigné de : ET J'AI LES YEUX OUVERTS (écrit dans le poème en capitales)...
La mère de Lucien Suel chantonnait-elle Damia ? Si je me réfère à l'année de naissance de Lucien Suel (entre parenthèses, la même que la mienne), cela n'a rien d'invraisemblable...
PS Oui, effectivement, le Courier, c'est la solution pour le vers justifié...
Rédigé par : Le Webmestre de TdF | 12 mars 2009 à 15:23
Pour les amateurs, ci-dessous la version originale du poème en 1985 avant son passage à la justification...
Amicalement
LS
... des jours et des jours et des nuits et des nuits
que je flotte dans l'espace sans pouvoir rejoindre
mon vaisseau...
Ce matin, il a de nouveau gelé autour de moi ;
l'air commence à se vicier dans mon scaphandre ;
'serait temps que j'arrive ailleurs,
mes doigts s'engourdissent,
je mets parfois plusieurs jours pour écrire un poème.
Je n'ai plus de mémoire.
Combien de fois j'ai laissé bouillir le café ces derniers kilomètres ?
Je me déplace dans une région pour laquelle on n'a dressé aucune carte.
Donc, je m'allonge et j'écoute toute la musique.
De temps en temps, un mouvement de points lumineux
qui jaillissent devant mes yeux
ET J'AI LES YEUX OUVERTS.
"I'm gonna put on a iron shirt, and chase the devil out of earth."
"Entrez dans la danse, voyez comme on danse,
sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez !"
Je connais trop de monde...
Suis sur une orbite géostationnaire...
Ne quittez pas...
Rédigé par : Lucien Suel | 12 mars 2009 à 15:23
Ah, c'est beau, c'est beau ! comme on a chaud dans les mots quand ils tricotent entre eux une couverture de laine pour les grands froids du coeur...
Rédigé par : Christiane | 12 mars 2009 à 16:27