![Le long d'une rue et son soleil oblique, on monte, on regarde Le long d'une rue et son soleil oblique, on monte, on regarde](https://terresdefemmes.blogs.com/.a/6a00d8345167db69e201156eaf3ae6970c-300wi)
Ph., G.AdC
L’IDENTITÉ OBSCURE
CHANT 9
On tourne, on vire, on a fermé les yeux sans savoir,
on se tient là au bord des choses, un peu en retrait,
comme le chêne ou la clôture, le jour posé
en équilibre, un instant, avant que tout bascule
sur la pente du soir, le chat qui passe en silence,
il ne dérange rien, on aimerait être un chat,
moustaches et pattes blanches sur le fil du présent,
quelque chose vibre, est-ce son passage ou l’éclat
brusque des couleurs, on cligne des yeux, on s’arrête,
sans savoir pourquoi on regarde sur la fenêtre
le même paysage, avec toute la beauté,
arbres et ciel sans images, qu’on ne sait pas saisir,
les doigts croient toucher la table, ils ne la touchent pas,
on écoute, on ne comprend toujours pas cet appel,
cette sorte d’impatience parfois minuscule,
toujours présente, même si c’est un jour de plus,
le même jour toujours, toujours différent, et l’air
qui bouge dans les feuilles, la lumière un peu grise
autour du tronc obscur qui semble ne pas bouger
mais qui bouge, imperceptiblement, au plus profond
de sa matière, on ne voit rien et pourtant il bouge
autant qu’herbe, nuages, corneilles, tout autour,
mais dans un temps trop lent pour qu’y entre le regard
et trop rapide pour l’attente de la montagne,
chacun son rythme, disait l’autre, puisque le monde
est un faisceau de rythmes croisés entrecroisés
jamais synchrones, celui de l’étoile et du sang,
du mur et du vent, du silex et de l’araignée,
rien ne vibre à l’unisson comme le croient les sens,
tout s’enfuit, tout diverge, se disperse, s’efface
dans l’apparente immobilité, le feu crépite
sous les arbres, on voit les flammes rouges, la fumée
qui penche avec le vent, on entend le bruit de l’eau,
celui des feuilles ou des pas qui ressemble à la pluie,
l’après-midi, on traverse le fleuve des corps
le long d’une rue et son soleil oblique, on monte, on regarde,
des marches, on les descend, on s’arrête,
le ciel est là, sur la fenêtre, mais c’est un autre,
les mains ne tiennent pas ce qu’elles portent, les doigts
lâchent toujours leur prise mais la chute est si lente
qu’on ne la remarque pas, ce qu’on cherche ressemble
à un peu d’air entré par la porte entrebâillée,
ou cette goutte de lumière au fond d’un regard
croisé très vite, comment comprendre que c’est ça,
on se retourne pour savoir, on suspend un geste,
trop tard, c’est pour une autre fois, pour jamais peut-être […]
Jacques Ancet, L’Identité obscure, chant 9 (extrait) in Thauma, Revue de philosophie et poésie, n° 5, « La joie », La Compagnie des Argonautes, février 2009, page 64. Extrait de L’Identité obscure, Éditions Lettres vives, Collection Terre de Poésie, 20213 Castellare-di-Casinca, pp. 55-56-57.
Comme j'aime cette écriture et le mystère qu'elle approche... Comme le monde est bruissant pour ce poète et comme il saisit, puis laisse fuir, cet indicible qui enveloppe toute chose de sa coque de lumière. Comme il est bon de sentir que ça palpite partout... D'où vient ce tremblement, cette respiration paisible des pierres, de l'air, de la lumière... Parfois en regardant longuement une photo, en écoutant une musique (comme celles offertes aujourd'hui), en lisant ce poème, on a comme une bulle de joie qui monte en soi jusqu'à sourire à rien, à presque quelque chose, qui est là et rend la vie plus douce. J'ai vraiment envie d'explorer "la joie" de Jacques Ancet !
Rédigé par : Christiane | 01 avril 2009 à 08:44
Le prix Apollinaire 2009 vient d'être décerné à Jacques Ancet pour son recueil L'Identité obscure (Lettres Vives, Collection Terre de Poésie, janvier 2009).
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 07 juin 2009 à 18:17