Le 9 mars 1883 naît à Trieste Umberto Poli, fils d’Ugo Edoardo Abramo Poli et de Felicità Rachele Cohen. Le nom de plume qu’on lui connaît lui a été inspiré par le patronyme de sa nourrice, Beppa Sabaz ou Saber, d’origine slovène. Le pseudonyme de Saba a été légalisé en 1920.
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LES JUIFS. TRIESTE 1910-1912 (PRÉFACE)
Je me souvenais ― comme d’un cauchemar ― d’avoir écrit ces récits, il y a plus de quarante ans. Ils devaient, dans mon idée, à cette époque, constituer, avec d’autres, un gros volume, dont, par la suite, je ne menai à terme que certains passages (qui formaient chacun un tout) réunis ici, et que je retrouvai un beau jour, par pur « hasard », en fouillant dans de vieux papiers. Et, en les relisant, ils m’ont plu ; plus, peut-être, que lorsque j’y travaillais.
Ils m’ont plu ; mais je ne sais pas encore si je les publierai ou non. Ce n’est pas moi qui résoudrai ce dilemme. Il y aura ― je l’espère ― quelqu’un pour le faire à ma place. Il n’y a rien de mal, quand on est vieux, à laisser à d’autres la responsabilité de décider pour nous. Du moins dans les choses pratiques. Les cinq récits (si on peut les appeler des récits ― en réalité, ce sont plutôt des souvenirs exposés sous forme narrative) furent écrits quand l’antisémitisme paraissait n’être qu’un jeu ; et je pouvais, sans remords, m’abandonner à une ironie compréhensive mâtinée de secrète tendresse, à l’égard d’êtres et de choses (tous authentiques) que j’ai vus et connus ou dont, plus souvent, j’ai entendu parler durant mon enfance. Ma mère ― on le sait ― était juive, comme toute sa famille. Les récits sont nés de deux mouvements : de la réaction (nuancée ― comme je l’ai dit ― de tendresse) à une manière d’être qui n’était pas la mienne, qui était déjà très rare à cette époque et qui me stupéfiait comme une « note de couleurs » de plus, dans le « monde merveilleux », et, je pense, d’une espèce de nostalgie de mon père, qui n’était pas juif, et que j’ai peu connu, et tard. Et aussi (peut-être davantage) de ma nourrice, chez qui j’ai vécu ma petite enfance et qui écrivit ― comme je l’ai dit ailleurs ― « les premiers mots sur les premières paroles de la vie d’un homme ». Le souvenir d’enfance le plus ancien que je conserve (et dans lequel est concentré tout un petit drame) est celui d’une femme (ma mère) debout à l’entrée d’un magasin de meubles, en train de menacer de la main en enfant blond qui pleure dans les bras d’une autre femme (ma nourrice), habillée, elle, de couleurs vives, coupable de m’avoir emmené avec elle, malgré l’interdiction de ma mère, à l’église. Le dénouement malheureux qu’eut le mariage de ma mère ― l’abandon de son mari quelques mois avant ma naissance ― l’avait confortée dans ses préjugés religieux et raciaux. D’ailleurs, je ne me rappelle pas l’avoir jamais entendue, sinon à propos de mon père, lancer des invectives contre d’autres religions et d’autres croyances. Et elle n’était même pas ― si je remonte au moment où mes souvenirs commencent à devenir clairs et précis ― excessivement attachée au judaïsme dont, à la fin, elle n’observait plus, ou à peine, les pratiques. Il ne lui était resté qu’une grande admiration et vénération pour la mémoire d’un de ses oncles maternels, que l’on retrouvera plus loin, sous l’habit d’Un lettré juif.
Umberto Saba, Les Juifs in Couleur du temps, Éditions Rivages, Bibliothèque étrangère Rivages, 1989, pp. 123-124. Traduit de l’italien par René de Ceccatty.
POÉSIE POUR MA NOURRICE – II
Insonne
mi levo all’alba. Che farà la mia
vecchia nutrice? Posso forse ancora
là ritrovarla, nel suo negozietto?
Come vive, se vive? E a lei m’affretto,
pure una volta, con il cuore ansante.
Eccola: è viva; in piedi dopo tante
vicende e tante stagioni. Un sorriso
illumina, a vedermi, il volto ancora
bello per me, misterioso. È l’ora
a lei d'aprire. Ad aiutarla accorso
scalzo fanciullo, del nativo colle tutto
improntato, la persona china
leggera, ed alza la saracinesca.
Nella rosata in cielo e in terra fresca
mattina io ben la ritrovavo. E sono
a lei d’allora. Quel fanciullo io sono
che a lei spontaneo soccorreva; immagine
di me, d’uno di me perduto...
Umberto Saba, « Tre poesie alla mia balia », Il piccolo Berto (1929-1931), in Il Canzoniere, Einaudi tascabili, Torino, 2004, pagina 388.
Insomniaque
je me lève à l’aube. Que devient ma
vieille nourrice ? Est-ce que je pourrais encore
la retrouver, dans sa pauvre boutique ?
Comment vit-elle, si elle vit ? Et je me hâte vers elle,
une fois encore, le cœur battant.
La voici : elle est vivante ; debout après tant
d’épreuves et de saisons. Un sourire,
quand elle me voit, éclaire encore son visage
beau à mes yeux, mystérieux. C’est l’heure
d’ouvrir pour elle. Accouru pour l'aider
un enfant aux pieds nus, tout imprégné
de sa colline natale, se penche
léger et relève le rideau de fer.
Par cette matinée au ciel rosée et fraîche
sur la terre je la retrouvais bien. Et je suis
à celle d’autrefois. Je suis cet enfant
qui se précipitait vers elle spontanément : image
de moi, d’un moi perdu…
Umberto Saba, Trois poésies pour ma nourrice in Le petit Berto, Il Canzoniere, Bibliothèque de l’Âge d’homme, 1988, page 400. Traduit de l’italien par René de Ceccatty.
Au pays des racines et de la quête de soi, Umberto Saba a su retrouver celle qui lui a donné ce sentiment de toute-puissance : être aimé. Bel hommage à sa vieille nourrice, une parole qui coule comme du lait...
Magiques photographies de cette librairie où il avait construit sa tanière au milieu des livres...
Belle rencontre, donc. Et merci aux traducteurs qui permettent cette joie.
Rédigé par : Christiane | 10 mars 2009 à 09:55
Cara Angèle, ti regalo questi versi da sempre nel mio cuore
r *.*
O mio cuore dal nascer in due scisso
quante pene durai per uno farne,
quante rose a nascondere l'abisso.
U. Saba
la http://sottopelle.wordpress.com/2009/03/10/229/>sestina è on line
PS du Webmestre : voir aussi http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/05/vagues_en_drive.html>ICI.
Rédigé par : rita r. florit | 11 mars 2009 à 16:32
Io che adoro Trieste e amo Saba ...e Svevo e tutti gli altri "triestini" della letteratura italiana (lo scrivo tra virgolette perchè per triestino intendo anche quelli che a Trieste non sono nati ma ci sono cresciuti come artisti, per esempio James Joyce), non potevo non apprezzare questa pagina.
Mi sono permessa di lincarla da un http://letture-e-riletture.blogspot.com/2008/09/delusione.html>post del mio blog.
Ciao e a presto
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Rédigé par : Angela Siciliano | 16 mars 2009 à 18:11