Ph. angèlepaoli
28. TINIAN
Agréable d’errer
Dans le désert sacré.
— — — — — — —
Et aux mamelles de la louve, ô bon esprit,
Aux eaux, qui par la terre natale
Errent
, autrefois sauvages,
Maintenant apprivoisées, de boire
Comme l’enfant trouvé ;
Pendant le printemps, quand dans le fond chaud
Du bois revenant les ailes étrangères
le jour se reposant en la solitude,
Et à l’arbuste de palmier
Avec les oiseaux de l’été
Se rassemblent les abeilles,
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
car il y a des fleurs
Non poussées de la terre,
Elles grandissent de soi-même du sol vide,
Un reflet, et ce n’est pas heureux
De cueillir ces fleurs-là,
Déjà dorées elles se tiennent fleurs décharnées
Pareilles aux pensées,
Friedrich Hölderlin, Tinian, in Pierre Jean Jouve, Poèmes de la Folie de Hölderlin, Œuvres, II, Mercure de France, 1987, pp. 1958-1959. Traduction de Pierre Jean Jouve avec la collaboration de Pierre Klossowski.
NOTE : la traduction de Pierre Jean Jouve et de Pierre Klossowski a été entreprise à partir de l'édition de Franz Zinkernagel (Insel-Verlag, Leipzig, 1926). Les dispositions dans l'architecture du texte (lignes de tirets suspensifs [— — — —], valeur des blancs, position relative des lignes, etc.) sont conformes à celles de l'ouvrage allemand. Les tirets rapprochés [— — — — — —] indiquent une coupe dans le texte effectuée par les traducteurs eux-mêmes.
TINIAN
Süß ists, zu irren
In heiliger Wildniß,
— — — — — — —
Und an der Wölfin Euter, o guter Geist,
Der Wasser, die
Durchs heimatliche Land
Mir irren,
,wilder sonst,
Und jezt gewöhnt, zu trinken, Findlingen gleich ;
Des Frühlings, wenn im warmen Grunde
Des Haines wiederkehrend fremde Fittige
ausruhend in Einsamkeit,
Und an Palmtagsstauden
Wohlduftend
Mit Sommervögeln
Zusammenkommen die Bienen,
[…]
Die Blumen giebt es,
Nicht von der Erde gezeugt, von selber
Aus lokerem Boden sprossen die,
Ein Widerstral des Tages, nicht ist
Es ziemend, diese zu pflüken,
Denn golden stehen,
Unzubereitet,
Ja schon die unbelaubten
Gedanken gleich,
TINIAN
Douceur d’errer
Dans la Selve sainte,
— — — — — — —
Et au pis de la louve, ô bon esprit,
Des eaux qui
Par mon pays natal
Vagabondent,
, plus sauvages naguère,
À présent domestiques, boire ainsi qu’enfants trouvés ;
Au printemps, quand au creux bien chaud
Du bois, s’en retournant, des ailes étrangères
Se reposant en solitude,
Et sur les arbustes des Rameaux
À l’odeur bonne
Aux papillons *
Se joignent les abeilles,
[…]
Il y a les fleurs
Que n’enfante pas la terre, elles jaillissent
Spontanément du sol ameubli
Contrereflet du jour, il n’est
Pas décent de les cueillir,
Car, présence d’or,
Sans nul apprêt,
Oui déjà, sans feuillage,
À des pensées pareilles,
Friedrich Hölderlin, Œuvre poétique complète, édition bilingue, Éditions de la Différence, 2005, pp. 866-869. Texte établi par Michael Knaupp. Traduit de l’allemand par François Garrigue.
NOTE : Tinian : ilôt des îles Mariannes du Nord, dans le Pacifique.
* « papillons » traduit l’helvétisme Sommervögel, littéralement oiseaux d’été.
Ce poème est énigmatique, quand on sait que de cette île de Tinian décollèrent les bombardiers qui allaient apporter la mort à Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945....
"...des fleurs non poussées de la terre...
Décharnées...
Des ailes étrangères
se reposant en solitude...".
Il écrivait dans une lettre :
"Maintenant j'ai peur des choses qui peuvent éventuellement s'associer à moi..."
Rédigé par : Christiane | 04 février 2009 à 15:42
Etonnante coïncidence, en effet. Terrible prémonition que celle énoncée dans cette pensée énigmatique!
Rédigé par : Angèle Paoli | 04 février 2009 à 20:27