I
In te si radunano tutte le morti, tutti
i vetri spezzati, le pagine secche, gli squilibri
del pensiero, si radunano in te, colpevole
di tutte le morti, incompiuta e colpevole,
nella veglia di tutte le madri, nella tua
immobile. Si radunano lì, nelle tue
deboli mani. Sono morte le mele di questo mercato,
queste poesie tornano nella loro grammatica,
nella stanza d’albergo, nella baracca
di ció che non si unisce, anime senza sosta,
labbra invecchiate, scorza strappata al tronco.
Sono morte. Si radunano lì. Hanno sbagliato,
hanno sbagliato l’operazione.
Milo De Angelis, 1. Vedremo domenica, Tema dell’addio, 2005, in Poesie, Oscar poesia del Novecento, Oscar Mondadori, Milano, 2008, pp. 243-244.
Ph. angèlepaoli (Lucca, novembre 2007)
développée par G.AdC
En toi se rassemblent toutes les morts, toutes
les vitres brisées, les pages sèches, les vertiges
de la pensée, se rassemblent en toi, coupable
de toutes les morts, inaboutie et coupable,
dans la veillée de toutes les mères, dans la tienne
immobile. Elles se rassemblent là, dans tes
pauvres mains. Elles sont mortes les pommes de ce marché,
ces poèmes retournent à leur grammaire,
dans la chambre d’hôtel, dans la baraque
de ce qui ne s'unit pas, âmes sans repos,
lèvres flétries, écorce arrachée du tronc.
Elles sont mortes. Elles se rassemblent là. Ils n'ont pas réussi,
ils n'ont pas réussi l’opération.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
II
Sei un lontano passo di danza
mentre saluti tra i corridoi,
un ventaglio di grazia che il male
non ha ucciso, diagonale
tra i quattro cantoni, silenzio
di fate e di foglie, finché il giallo
si fa scuro, si fa minaccia nel cielo,
il sorriso fragile e la gola
resta lì, sospesa e selvaggia.
Milo De Angelis, Trovare la vena, op. cit., page 251.
Tu es un pas de danse lointain
toi qui salues dans les couloirs,
un éventail de délicatesse que le mal
n’a pas tué, diagonale
entre les quatre coins, silence
de fées et de feuilles, jusqu’à ce que le jaune
s’obscurcisse, se fasse menace dans le ciel,
le sourire fragile et la gorge
reste là, suspendue et sauvage.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
III
Il luogo era immobile, la parola scura. Era quello
il luogo stabilito. Addio memoria di notti
lucenti, addio grande sorriso. Il luogo era lì.
Respirare fu un buio di persiane, uno stare primitivo.
Silenzio e deserto si scambiavano volto e noi
parlavamo a una lampada. Il luogo era quello. I tram
passavano radi. Venere ritornava nella sua baracca.
Dalla gola guerriera si staccavano episodi. Non abbiamo
detto più niente. Il luogo era quello. Era lì
che stavi morendo.
Milo De Angelis, Vedremo domenica, op. cit., page 244.
Le lieu était immobile, le mot noir. C’était ce lieu-là
le lieu arrêté. Adieu mémoire de nuits
lumineuses, adieu sourire éclatant. Le lieu était là.
Respirer fut une pénombre de persiennes, un état primal.
Silence et désert échangeaient leur visage et nous
nous parlions à une lampe. C’était ce lieu-là. Les trams
passaient rares. Vénus retournait dans sa baraque.
De la gueule guerrière se détachaient des épisodes. Nous n’avons
plus rien dit. C’était ce lieu-là. C’était là
que tu étais en train de mourir.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
IV
Eri l’ultima
donna della vita, eri il temporale
e la quiete, il luogo
dove la luce è insanguinata
e il sangue fiorisce : pochi minuti,
pochi metri, sempre lì,
nel cemento che parla, nella città
degli amanti, nel silenzio
dei lavandini, il bacio
avvenne
e noi non abbiamo
voluto più uscire.
Si muore così, all’ingresso
di una scuola, un cerchio perfetto.
Milo De Angelis, Scena muta, op. cit., page 248.
Ph. angèlepaoli (Lucca, novembre 2007)
développée par G.AdC
Tu étais la dernière
femme de la vie, tu étais l’orage
et la quiétude, le lieu
où la lumière s’ensanglante
et où le sang fleurit : quelques minutes,
quelques mètres, toujours là,
dans le ciment qui parle, dans la ville
des amants, dans le silence
des lavabos, le baiser
survint
et nous nous n’avons
plus voulu sortir.
C'est ainsi qu'on meurt, à l’entrée
d’une école, un cercle parfait.
Traduction d’Angèle Paoli, février 2009
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NOTE d'AP : Tema dell’addio ― recueil dédié à la poète Giovanna Sicari (1954-2003), épouse de Milo De Angelis ― a obtenu le Prix Viareggio 2005. En mai 2010, la première traduction française de ce recueil a paru aux éditions NOUS, suivie d'une postface de Jacques Demarcq. Traduction de Patrizia Atzei et Benoît Casas.
TEMA DELL’ADDIO
« Tema dell'addio (Mondadori, 2005) a été immédiatement accueilli comme un authentique chef-d'œuvre appelé à faire date. Ce livre de l'adieu à la femme aimée (l'épouse du poète, Giovanna Sicari, morte en 2003) ne tente pas de saisir le seul moment de l'adieu. L'adieu y est plutôt vécu comme un acte de langage répété dans un récit selon une double temporalité : dire adieu à la malade ― saluer ; dire adieu au passé ―, donner congé. Vivre le passé comme un présent, et le passé dans le présent. On songe à Élégie de la mort violente de Claude Esteban, à Quelque chose noir de Jacques Roubaud (1986) ou À ce qui n'en finit pas de Michel Deguy (1995). Apprendre à se délier en repassant par tous les liens qui repassent par toute une vie qui repasse par toutes les vies. Cet adieu est aussi une forme de congé donné au siècle... Les dons de Milo De Angelis qu'on a pu dire le plus « celanien » des poètes italiens culminent ici : sa densité, son art de l'allusion qui mêle l'histoire du siècle et le détail intime, sa tendresse, son élégance qui dépasse l'élégie et refuse tout nihilisme, sa confiance dans la langue de la poésie qui se mesure au présent des indicateurs (lì) et au caractère impératif de ses futurs. On pense au temps énigmatique du Balcon :
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs! Ô toi, tous mes devoirs!
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !... »
Dossier Poésie italienne réalisé par Martin Rueff et Jean-Patrice Courtois, in Le Nouveau Recueil, n° 81, décembre 2006-février 2007, Champ Vallon, 2006, page 168.
Mots terribles.
Peut-on vivre après l'adieu ?
Rédigé par : johal | 10 février 2009 à 07:53
Grazie, per le le poesie che scrivi, pubblichi (e traduci).
Angela
Rédigé par : angela | 10 février 2009 à 10:43
Difficile de le dire, Johal, difficile même de comprendre et de croire que l'écriture (ou l'art) soit un moyen pour surmonter l'adieu. Et pourtant, les exemples existent, qui prouvent que oui. L'écriture poétique est là, qui en est le signe tangible. Ecriture de la consolation ! diraient certaines voix qui refusent qu'une fonction cathartique puisse être assumée par la poésie. Et pourquoi lui refuser ce pouvoir ?
Cara Angela, ti ringrazio per il passaggio dalle mie terre. Milo De Angelis è stato una bella scoperta. E' una grande voce.
Rédigé par : Angèle Paoli | 11 février 2009 à 01:30
C'est un poème en noir et blanc qui dit le monde de la mort, ses fractures, sa violence, ses ombres, ses terreurs et pourtant il y a là une douceur rayonnante, un goût d'inachevé, un pas au-delà de la butée de la mort porté par la voix du poète. A qui parle-t-il ? N'y a-t-il que la matière ? La beauté est le seuil de l'immortalité, elle domine la mort. L'obscurité silencieuse comme une connaissance... co...naissance
Rédigé par : Christiane | 11 février 2009 à 12:13