CAMBOUIS
Ph., G.AdC
Il faut se confier à la langue autant que se défier d’elle. Chacun place le curseur où il veut, mais on doit pouvoir en gros mesurer si le poème demeure audible, par qui, comment… Un poème reste destiné, adressé, partagé, ou bien il n’est que miroir d’un narcissisme autarcique, d’un autisme même de chapelle, bref d’un mépris.
Dans le circuit poétique (c’est vrai qu’on tourne parfois en rond), m’énerve cette fréquente nécessité d’ « avoir lu », de « connaître » avant de lire. Je ne vois pas pourquoi, sans travail préalable, je ne pourrais pas comprendre et juger en quoi ce poème me regarde. Certes, je vais rater peut-être ce que le poète s’est échiné durant des années à vouloir construire, mais est-ce que cela importe si je rejoins par d’autres voies l’acte poétique de s’adresser à l’autre par un code renouvelé de la langue ? Est-ce que cela importe si moi, je trouve ce qui me regarde dans ce livre ? »
Antoine Emaz, Cambouis, Éditions du Seuil, Collection « Déplacements » dirigée par François Bon, 2009, pp. 97-98.
Écrire, ça ne veut rien dire, en fait. Il y a des niveaux d’écriture, comme dans un immeuble. On change d’étage suivant que l’on écrit à un ami, que l’on écrit un poème neuf, que l’on travaille à la finition d’un poème, qu’on règle des problèmes administratifs, que l’on rédige une note de lecture… Et ce sont des procédures, des mises en place internes, des dispositions très différentes. Certaines sont d’accès libre à n’importe quel moment, d’autres sont conditionnées par on ne sait quoi dedans, qui ouvre ou ferme la porte. À force, on connaît son immeuble, on ne s’inquiète pas de voir clos le troisième et le sixième, on reste au premier.
C’est peut-être ça l’essentiel d’une vie de poète : l’attente. Au moins pour moi. Ne pas généraliser une expérience : ce qui est vrai pour moi vient de l’empilement hasardeux mais bien réel, de ma vie. Je suis devenu quelqu’un qui écrit des pages que l’on appelle poèmes parce que ça rentre à peu près dans la case. En tout cas, ça ne rentre pas dans les autres cases, donc on dit poèmes, c’est plus simple. Même pour moi, c’est rassurant de me dire que je suis en poésie, en bout de course. Mais quand j’écris, poème ou non, je ne sais pas. J’écris libre, point.
Antoine Emaz, Cambouis, op. cit., page 140.
Ph., G.AdC
Pour Déplacements , au Seuil, […] Antoine Emaz a bien voulu me recopier, en prolongement de Lichen, Lichen, plus de 200 pages de ses carnets – oui, on interroge encore le livre comme permanence, comme dépôt. Ou comme mise en œuvre collective d’un savoir, d’une passation, qui mènera cette recherche loin de cette glycine sur terrasse de ciment, sous ciel d’ouest, qu’on s’habitue à retrouver dans ses pages. (François Bon, Le tiers livre)
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Note d'AP : ce volume, le douzième de la collection « Déplacements », en est aussi le dernier, celui qui clôture la collection. Comme le dit François Bon, « Le Seuil réduit la voilure et le contemporain n’est pas une valeur marchande suffisante. » Aussi je suggère à chacun d'entre vous de se procurer sans tarder les ouvrages encore disponibles de cette collection.
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Des vérités qui font grand bien à lire.
Rédigé par : Pascale | 24 février 2009 à 16:15