(hommage à Hélène Cixous)
IL PARLE
La salle pivota sur elle-même. Dans le demi-cercle qu’elle traçait pour laisser entrer l’espace, elle me présenta sa porte. Je m’inclinai et m’avançai. Il était seul en scène, longue silhouette hâve drapée dans son mastic. Se déplaçant à peine, à peine esquissant quelques gestes, il cherchait à prolonger encore l’empreinte de sa présence sur le mur. De l’autre côté du plateau, compacte et indissociée, la foule obscure. Il parle. Sa parole descend en lui-même, en ces zones d’ombre dont il ne sait ce qu’elles sont. Son visage se creuse. Ses traits se tirent. Sa poitrine cherche un souffle d’air pour alimenter les cavités alvéolaires, invisibles. Sa voix plonge dans les cavernes de son ventre, puis plus loin encore, dans des pores inaccessibles. Les yeux renversés vers l’intérieur du crâne, il parle, et sa parole est claire et transparente, limpide comme l’eau cristalline qui court au printemps des talus. Que dit-il ? De quoi parle-t-il ? Nul ne sait. Ils sont là, silencieux, suspendus à ses lèvres, absorbés dans le flot ininterrompu des mots qui les happe dans son flux. Je suis là, parmi eux. J’écoute, fascinée, cette parole qui se dit, qui monte d’un au-delà indiscernable tandis que le regard plonge, mouvement inverse de spirales descendant ascendant descendant à nouveau. Le silence enveloppe le public, le prend dans un étau qui se resserre autour de lui tandis que les mots déroulent leurs volutes sonores. Brusquement, il s’affaisse. Le mastic tombe à ses pieds. Son visage halluciné se recroqueville, se rétrécit, s’engorge en lui-même. Tous se précipitent. L’entourer, le secourir, le relever. Dans la masse indistincte des visages, je reconnais un visage. Le mien. Penché sur celui que sa parole a mis à mort.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Est-ce vraiment un rêve comme on l'entend ?
Il m'est arrivé, une nuit, de rêver que je montais sur scène. Une salle comble. Noir. J'allais sur scène sûre de moi. Il faisait si noir..., oui, mais je devinais le public, le souffle, les inspirations... et j'allais là, sans savoir exactement ce que je devais y faire. Etrange sensation que de confier sa silhouette à l'improvisation.
Le public ne me voyait pas encore. Aucune lumière. J'attendais le lever de rideau (c'était génial ! je sentais l'amour de ce public-là et ça me donnait une confiance inouïe) mais quelqu'un m'a tiré par la manche. Une femme. Elle m'a fait remarquer que je n'étais ni maquillée, ni vêtue comme il fallait... je devais passer par les loges...
La suite importe peu. (Un charabia...)
Merci pour votre texte qui resurgit (pour moi) en un souvenir plutôt sympa.
Quant à cet homme... ?
Rédigé par : Alistrid | 26 janvier 2009 à 19:18
faisait écouter ses mots, mais dans le vide - trop donner, pour rien ?
Rédigé par : brigetoun | 26 janvier 2009 à 20:37
C'est beau de retrouver la densité de votre écriture, serrée, drue, incisive. Plein coeur du noir du rêve. Tout près d'une mort mystérieuse. Qui êtes-vous double, penchée sur lui et vous regardant penchée sur lui ? Qui est-elle cette parole mourant de se dire ? Pourquoi cette salle s'offre à vous, s'ouvre à vous pour vous inviter à un sacrifice presque mythique. La mort ici n'a pas de sang, elle dissout. Hiroshima dont l'arme serait l'atomisation de la parole. Parole qui ne peut se dire sans mise à mort et vous voilà au chevet d'un minotaure extasié de son écho, de son sang de parole.
Toute parole offerte est une mise à mort de notre silence, mais il faut dire, il faut écrire. Lu les autres rêves. Je reconnais votre écriture.
Rédigé par : Christiane | 26 janvier 2009 à 22:56
C'était un rêve, Alistrid, mais cet homme a existé. Je l'ai reconnu dans mon sommeil. C'était bien lui, semblable à nul autre. Mais il ne le sait pas, il ne le saura sans doute jamais. Et même s'il lisait ce texte, je ne suis pas sûre qu'il se reconnaîtrait.
Il suffit de vivre chaque jour pour savoir que nous frôlons à tout moment le théâtre. Quant à la jubilation du dédoublement sur scène, elle est incomparable.
Et revoilà le Minotaure, mais un Minotaure anéanti par la substance impalpable, insaisissable et incompréhensible qu'il vient de laisser jaillir hors de lui. Je pense souvent aux phylactères, énigmatiques, que l'on voit dans certaines peintures italiennes du Cinquecento.
Rédigé par : Angèle Paoli | 28 janvier 2009 à 23:22