LAMENTU FAUVE
Une lumière fauve blondit les feuilles ce matin. L’or s’insinue doux entre les branches pas tout à fait dénudées. Encore gris, vert-de-gris, vert de lauze. Le soleil joue sur la pierre, strate par strate. Le village immobile dort, lové sur ses murs. Fraîcheur matinale.
Une fumée monte, odeur de feu, pour conjurer l’humidité des cieux d’orage, nuages pommelés, noires rondeurs lourdes de promesses à l’horizon du jour. À peine un rai de joie légère au travers des cils, à peine un sourire esquissé dans la rumeur de l’air, à peine un frisson qui émousse la chair, à peine être là dans le silence du matin.
La fraîcheur est tombée brutale inattendue, les eucalyptus tressaillent au bord du cimetière. Odeur de terre mouillée. Le lamentu a déserté la chambre mortuaire, mais la veuve est belle sous sa mantille, dentelle noire sur l’ovale.
Le ciel rouge-feu veille sur les vivants.
― Trois nuages traversent le soleil, deux dans un sens, l’autre tente une percée en sens inverse. ―
Le temps vacille insensible à la douleur des hommes, à leurs menus bonheurs. Les travaux et les jours tressent leurs lianes tendres impalpables, les heures succèdent aux heures, les pleurs succèdent aux pleurs. Femmes silencieuses courbées autour du cercueil. La route long serpent de voitures noires, vitres closes sur le chagrin, visages absents vidés de tout regard.
À peine mon rêve se dissout-il dans des limbes impalpables et déjà le bonheur frémit au bout des doigts. De pouvoir exister. C’est aujourd’hui pourtant qu’arrivent ses cendres, urne blanche et gerbes de fleurs, et c’était hier aussi que revenait son cercueil. Longues litanies de voitures sur la route, interminable lacis de larmes et de doutes, agaves hautes hampes de fleurs tendues vers le ciel dur, masques invisibles noyés sous le rideau des pleurs. Et ce novembre coupant l’air de sa cisaille, lumière trop forte pour le deuil, tombeaux épars dans les fougères hautes.
Espaces de blancheur pour accueillir la vie.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Une pensée pour vous qui avez perdu un être cher... Il y a du Celan dans votre dernière phrase.
Très beau texte.
Rédigé par : noese cogite | 22 novembre 2008 à 13:06
La mort est tellement différente quand vous l'accompagnez avec toutes ces femmes et ces chants (Lamenti ?) vers la blancheur des tombeaux, où renaître... Cadeau que votre écriture...
Rédigé par : Christiane | 22 novembre 2008 à 17:22
« Il fait novembre en mon âme », écrivait Émile Verhaeren...
Rédigé par : Valérie B. | 22 novembre 2008 à 22:53
« Vert de lauze » : il me semble que ces lauzes sont décidément fort présentes dans vos textes…
J’aime bien vos images :
long serpent de voitures noires
vitres closes sur le chagrin
Longues litanies de voitures
interminable lacis de larmes et de doutes
le rideau des pleurs
novembre coupant l’air de sa cisaille
Et puis ces agaves qui tendent leur hampe vers le ciel dur… Cela a quelque chose de tragique, tandis que les « tombeaux épars dans les fougères hautes » nous invitent à l’oubli (tout en nous faisant réfléchir sur la non persistance de notre passage).
Très beau : la vie, la mort, la nature. Et la spectatrice qui participe à tout cela et qui nous fait découvrir la scène par ses yeux. Elle est si discrète qu’on en oublierait sa présence. Pourtant c’était bien elle qui était concernée par le « frisson qui émousse la chair » elle qui était « à peine là dans le silence du matin. » Mais qui était là quand même.
Rédigé par : Feuilly | 24 novembre 2008 à 00:12
J'aime votre approche sensible, Feuilly, en demi-ton, en demi-teinte. Les lauzes comme la mort sont en effet très présentes dans mon univers familier, mais les unes apaisent les autres dans ce paysage où le tragique va de pair (de concert ?) avec la beauté.
La mort n'est pas vraiment triste, ici. Elle est.
Rédigé par : Angèle | 24 novembre 2008 à 23:20