Ph., G.AdC
ALORS AU PIED D’UN ARBRE
alors au pied d’un arbre pareil à un monde dont les feuilles
déployées sur l’écran du ciel frémissaient comme des ailes
nous vîmes la terre ouverte en sept endroits
laisser sourdre en une effusion continue une source
d’eau filtrée dont le flot amoureux était caresse humide
et qui dans la fluidité mélancolique de son rythme
murmurait un langage tout de notes liquides
auquel nous ne pouvions donner de traduction humaine
paisible et grave était ce sourire né de la terre maternelle
chaque goutte tremblante recelait d’infinis océans
la douceur de l’eau rêvait dans nos yeux
Amina Saïd, Tombeau pour sept frères, éditions Al Manar, octobre 2008, page 16. Calligraphies de Hassan Massoudy.
Avec Tombeau pour sept frères, Amina Saïd rend hommage aux Sept Dormants avec une forme qui prend ici un écho tout particulier. Si le tombeau poétique est un hommage traversé par une dialectique de l’absence et de la présence, destiner un tombeau aux Sept Dormants emmurés dans leur caverne, c’est aussi transmuer le lieu de leur réclusion en poème. Loin de la clameur d’un monde voué à la finitude, elle restitue la trajectoire d’une quête symbolique et interpelle les habitants de la cité terrestre d’aujourd’hui, les invitant à interroger en eux l’énigme de toute chose.
La caverne est ainsi érigée en lieu poétique, en refuge pour la méditation. Le poème devient la caverne des Sept Dormants, incarnant le lieu de leur parole. « une nuit nous nous glissâmes hors de la cité terrestre / fuyant la persécution la mort et l’étroite prison du temps » Et le lecteur de fuir lui aussi avec ce premier dit de Masilya sa prison moderne vers une autre perception du monde et des choses en découvrant les huit voix qui se succèdent dans ce livre. Car huit voix parlent les unes après les autres, usant toutes d’un même pluriel, scandant un « nous » empreint d’une universalité qui transcende temps et espace.
Cécile Oumhani, extrait de l'article paru le 27 octobre 2008 dans La Presse de Tunisie.
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La caverne. Celle de Platon où l’homme questionne son ombre ou celle du tombeau du Christ, qui s’ouvre sur un espoir improbable ? Tombeau des sept dormants, dites-vous. On remarquera le chiffre sept, symbole de perfection, ainsi que le terme « dormant » qui n’implique pas la mort mais plutôt une attente avant un réveil possible. Dans la nature, le symbole renvoie à la chrysalide creuse, que le papillon a quittée, ce papillon qui incarne toute la beauté du monde.
Ici la caverne devient poème. Espace clos, donc, qui se suffit à lui-même, espace de parole, qui dit les rêves des personnes endormies. Eternel, atemporel, le poème dit le monde qui n’est pas lui et dont il incarne la perfection.
Rédigé par : Feuilly | 11 novembre 2008 à 17:39
Merci Angèle et Yves de la traduction faite de la pluie tunisienne que vous déclinez ici en musique et en poésie dédiée au sept dormants (Cela me fait d'autant plus plaisir que je suis en train de préparer un cours de littérature comparée sur le thème des sept dormants).
Amicalement vôtre.
Rédigé par : Gharbi | 11 novembre 2008 à 19:24
Ce qui m'émeut dans tout ce que vous nous offrez aujourd'hui, c'est ce pont qui par la poésie, la musique et le chant, crée de l'amitié entre les pays, prend appui sur les mythes, les images tutélaires (splendide lien avec Amina Saïd), pour dire que la beauté, la sagesse et l'amitié c'est possible ici et maintenant.
La beauté ? Elle ne devrait jamais être détruite par une note dissonante du coeur. Il reste à transformer toute douleur en beauté pour retrouver le chant initial...
Rédigé par : Christiane | 11 novembre 2008 à 20:59
Merci Angèle Paoli pour votre site qui prête à rêver, qui ressort particulièrement pour ses qualités esthétiques mais surtout littéraires. Merci également à notre amie Cécile Oumhani qui nous fait découvrir le dernier recueil d'Amina Saïd dont j'apprécie la poésie.
Gisèle Seimandi
Rédigé par : Gisèle Seimandi | 11 novembre 2008 à 21:02
Tout cela est fort intéressant ! Passionnant même ! Et jubilatoire !
Ainsi donc, chacun porte en lui sa caverne d’Ali Baba, riche en trésors et en mythes qu’il alimente par ses lectures et ses échanges. Chacun contribue à l’entretien et à la reconstruction de l’édifice millénaire qui est le nôtre. De passeur en passeur, de voix en voix, la toile se tisse, les liens se nouent, les mots trouvent leur juste place et résonnent de leur vrai sens.
Ainsi, le poème d’Amina Saïd accompagné de la note de Cécile Oumhani, ont-ils réveillé dans ma mémoire le souvenir de la légende des Sept Dormants, découverte, il y a quelques mois à peine, à l’occasion de ma lecture du N° 22 de La Pensée de midi consacré aux Mythologies méditerranéennes. La contribution de Jalel El Gharbi, orchestrée par vos voix, m’incite à replonger dans la revue. Je redécouvre, en la feuilletant fébrilement, que cette légende a inspiré de nombreux auteurs :
- Tawfiq al-Hakim, La Caverne des songes (1950) ;
- Rachid Koraïchi, un récit intitulé Les Sept Dormants (2002) ;
- le Serbo-Croate Danilo Kis, La Légende des Dormants (1983) ;
- Salah Stétié lui a consacré deux ouvrages : Le Passage des Dormants (1995) et Rimbaud, le huitième dormant (1993) ;
- Quant à l’écrivain sicilien Andrea Camilleri, il a choisi lui aussi d’alimenter le suspens de son roman policier Il cane di terracotta (1996) avec cette légende.
De tous ces récits, seule est présente (pour l'instant) dans ma bibliothèque la traduction de l'ouvrage de Camilleri : Chiens de faïence !
La seule lecture de cette bibliographie me donne des ailes et je me dis que j'aimerais bien voler jusqu’à Tunis !
Merci à tous, infiniment.
Rédigé par : Angèle Paoli | 12 novembre 2008 à 00:36