Ph., G.AdC
LA CAISSE CLAIRE
Maussade, temps maussade, mi-figue, mi-raisin. Du vent ― par à-coups ―, des menaces de pluie, peut-être pour demain. Rien de précis, rien de net. Ni vraiment beau ni franchement mauvais. Ni l’un. Ni l’autre. Un temps indécis qui anéantit en moi les décisions prises la veille, réduit à peu de choses les projets du jour. Je tourne, sans parvenir à me décider. Les promesses d’hier, lumière tendre dans la chaleur du petit port, se sont dissoutes. Noyées dans la ouate de cette journée hésitante. Il ne me reste plus qu’une échappée sous la maison, dans les piani aux asphodèles. J’emporte avec moi mes « Juliau », quatre volumes-six recueils, quatre beaux livres qui vont bientôt fleurer la terre sèche et les feuilles de chêne. La Face nord de Juliau (celle-là exclusivement !) me cherche, me provoque, me harcèle. Variations sur le même, exaspérantes, insaisissables, la colline, ses motifs, ses verts et ses jaunes, ses courbes féminines disséminées sous le nom viril et un peu clown de Juliau. L’écriture, les phrases-cercles qui se resserrent, d’un recueil à l’autre, de plus en plus. De sorte que Juliau 6 se réduit, se condense, si stringe sur lui-même, se dissout jusqu’à disparition. Prévisible. Progressive. Extinction. Histoire d’un petit pan de montagne jaune (Juliau, en Ardèche) et de « son » écriture. De sa réécriture dans l’espace et dans la page. Difficulté d’écrire. Impossibilité à dire cette montagne-là, impossibilité de s’en défaire; difficulté, pour celui qui s’accroche à l’écriture de Pesquès, à dire la poésie de Pesquès. Ses cercles concentriques enserrent le lecteur. L’étau jaune de Juliau.
Lupinu s’élance droit devant moi. Je lis dans ses yeux toute la fierté qu’il a à m’accompagner dans mon escapade. Il exulte, déborde de frénésie et d’enthousiasme. Il veut m’éblouir, déploie pour moi tout son arsenal de séduction ! Il me montre tout ce qu’il sait faire, courir un cent dix mètres haies, prendre les virages au cordeau, sauter à l’assaut d’un papillon, grimper à toute vitesse dans les arbres, faire déguerpir d’un coup de patte un lézard qui file sous la lauze, en dénicher un autre sous la pierre. Il me rapporte ses trophées, joue un moment avec le minuscule reptile qu’il a coupé en deux. Il ne reste de lui qu’un ventre qui palpite sous ses griffes et un bout de queue qui se tortille dans les herbes. Lupinu le considère déjà d’un œil distrait. Il flaire bien d’autres plaisirs qui vibrent sous la mousse. Oreilles aux aguets, il hume l’air tiède et se gratte aux herbes folles. Un obstacle soudain l’arrête, médusé. Une masse informe lui barre la route. Un tronc d’arbre ? Une outre abandonnée, avec cornes et sabots ? Un cadavre ! Un énorme cadavre d’animal ! Une vache ? Non, une chèvre, plutôt. Un bouc !
Allongée sur la terre, la grande carcasse gît. Crâne émacié, tourné vers le soleil couchant. Le monocle vide de l’œil absorbe la lumière. Contorsions immobiles. Pattes disjointes et ongles désossés, énucléés de leur muscle. Plus une once de chair. Quelques touffes de poils durs s’accrochent encore aux canons de la jambe, au chanfrein de son mufle. Le chat, prudent, se risque sous le crâne, renifle, grimpe sur l’outre borgne de la panse, flaire le coup fourré, se détourne, laisse l’outre blanche à sa dessiccation.
Le bruit de caisse claire de la carcasse creuse.
Canari, le 1er octobre 2008
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Bien sûr... Lupinu connaît ses limites dans la prospection... Etrange atmosphère dans ce texte entre l'animal et le végétal. On ne sait pas sur qui veillent exactement les asphodèles ou les collines. Quoi qu'il en soit la couleur est sauve. Le mouvement, lui, marque son hésitation. La saison parachute ses nostalgies dans une sensualité intacte... A suivre...
Rédigé par : Mth P | 04 octobre 2008 à 01:39
Mth, j'adore tes commentaires ! Je ris en te lisant ! Mais je reconnais ta "patte" qui va en deux mots au plus profond et au plus juste de ce que j'écris ! Oui, ici, tu le sais aussi bien que moi, le végétal et l'animal sont omniprésents, c'est peut-être même l'essentiel de ce monde qui s'en va doucement vers l'hiver. Avec le minéral (les vieilles pierres !) et le maritime. Finalement, ça fait beaucoup et avant d'épuiser les différentes dimensions qui m'enserrent et me cernent, j'en ai encore pour quelque temps.
Je t'embrasse fort, Mth, bon week-end à toi.
Rédigé par : Angèle Paoli | 04 octobre 2008 à 12:34