Ph., G.AdC
LÀ-BAS, SOUS LES PORPHYRES
Les premiers orages de la fin de l'été ont éclaté. Après une semaine de sirocco, la tempête s'est installée, libérant les énergies tenues encloses, jusqu'à hier encore, dans le cirque des montagnes. Le tonnerre claque contre ma porte, les éclairs trouent le fienile de part en part. Une lumière stridulante zèbre l'espace clos-chambre-bibliothèque-bureau, où je me suis réfugiée, avec bonheur, pour la journée.
Je savoure cet instant de bascule d'une saison à l'autre, avant que ne s'installe durablement l'automne. J'écoute des Intermezzi de Brahms. Les notes se mêlent au tambourinement sec et régulier de la pluie sur les lauzes. Mille bulles roulent le long de la ruelle, dévalent les marches, submergent rigoles et caniveaux. Mille bulles d'eau qui courent ensemble à leur perte, avalées par le ru qui se gonfle, s'enfle, monte et mugit, roule ses bouillonnements entre les murs. Les cloques de pluie, fitte fitte, forment un rideau opaque qui se brise au contact de la pierre, minuscules ombrelles renversées.
Je suis sous l'emprise d'un « petit texte » reçu hier. Un texte de Pascal Quignard. Boutès. Je cherche des yeux la goutte d'eau qui osera se détacher du groupe de ses semblables. Celle qui s'affranchira de la cohorte disciplinée des autres pour vivre le destin solitaire qui la conduira à la mort. Je la cherche en vain. Dans le chant murmuré de la voix torrentielle qui glisse le long de ma porte, j'attends. J'appréhende le claquement sec et dur du tonnerre. Je le guette, dans la tension du corps et de l'esprit. Je l'imagine qui tourne et tourne encore autour du téton du Cucaru, prisonnier des nuages.
Le chat ronronne, enroulé sur mes épaules. « La musique souvent me prend comme une mer ». Je me laisse emporter par le roulis des notes qui monte, s'enfle et s'apaise. Voix plus profonde des origines qui m'enlace et m'entraîne vers les fonds inconnus où git le cœlacanthe aveugle. Le monstre millénaire veille sur la folie des hommes et boit les éponges, avide de silence et de recueillement. Le tonnerre gronde, mille éclats qui percutent les roches et percent la montagne. Le ciel descend sur les vagues, chape de gris tendue sur le gris de la mer. Les mille bulles roulent tombeau ouvert sur les lauzes, rejoignent dans un même rythme les mille cloques du troupeau. Les notes fusent, explosent, claquent comme des bulles d'air, insaisissables grains de sons qui s'amplifient, se jettent dans le labyrinthe des sens. Bientôt je rejoindrai le point de non-retour où gît le cœlacanthe. Là-bas, sous les porphyres, dans les abysses noirs.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Bonjour Angèle,
Très beau texte que le tien, qui rend si bien l'atmosphère de cet instant.
Rédigé par : Elsa | 17 septembre 2008 à 09:40
Elle est fort étrange votre référence au cœlacanthe, ce symbole biologique de l'endurance, chère Angèle …
Amicizia
Guidu___
Rédigé par : Guidu | 17 septembre 2008 à 11:41
Mon cher Guidu, depuis que j'ai découvert l'existence de ce doux monstre, je ne pense qu'à lui. Il est aveugle, squameux, impotent, quasiment grabataire sur ses sables, et pourtant, je l'aime! Sans doute à cause de son nom. Un nom mystérieux qui plonge son "e" dans l'"o", et tient du ciel et de la plante (la belle acanthe!). Il a le même âge que les fougères ! Raison de plus pour le bichonner à l'ombre de mes phrases. Où est le risque? Il est bien sage, mon cœlacanthe, blotti immobile au fin fond des abysses noirs !
Rédigé par : Angèle Paoli | 20 septembre 2008 à 00:29
Bonsoir, Elsa, merci à toi de ton passage. La pluie est tombée drue aujourd'hui encore. J'en ai profité pour lire. A mon rythme. Je savoure ces ralentis du temps.
Rédigé par : Angèle Paoli | 20 septembre 2008 à 00:35
Ce chat qui ronronne… enroulé sur vos épaules, ne serait-ce pas le gentlecat Lupinu ? …
Amicizia
Guidu____
Rédigé par : Guidu | 24 septembre 2008 à 18:49