Le 27 septembre 1871* naît à Nuoro, en Sardaigne, Grazia Deledda.
Image, G.AdC
Écrivain sarde, poète et dramaturge, Grazia Deledda est l’auteur d’un nombre considérable de romans dont la publication s’échelonne sans discontinuer de 1890 à 1936, année de sa mort ( 15 août 1936 à Rome). Suivra la publication de deux œuvres posthumes : Cosima (1937) et Le Cèdre du Liban, un recueil de nouvelles (1939).
Héritière de l’écrivain sicilien Giovanni Verga ― auteur des Malavoglia ―, et traductrice de Balzac, Grazia Deledda, qui allie naturalisme et sensibilité féminine, est considérée comme l’écrivain du vérisme romantique. En 1926, elle est récompensée à Stockholm pour l’ensemble de son œuvre. Grazia Deledda est la seule femme-écrivain italienne à avoir reçu le prix Nobel de littérature.
Ses romans les plus connus sont : Elias Portolú (1903), Cenere (1904), Colombi e sparvieri (1912), Canne al vento (1913), Marianna Sirca (1915).
Marianna Sirca a été traduit en français en 1949, sous le titre Marianna, par Adolphe V. Thomas pour les Éditions de la Paix. Mais l’ouvrage est depuis longtemps épuisé. Aussi, j’en donne ci-dessous un extrait, traduit de ma main.
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* Certaines sources font naître Grazia Deledda le 27 septembre 1875. J’ai opté pour la date que l'écrivain communique dans son autobiographie. Date entérinée par l’Encyclopædia Universalis et l’édition italienne à laquelle je me suis référée (édition de Marianna Sirca établie par Anna Dolfi).
Sur la première de couverture,
photo de Wilhelm von Gloeden (1856-1931)
EXTRAIT DE MARIANNA SIRCA (texte original + traduction en français)
Camminò fino all’alba dirigendosi verso il monte Gonare del quale vedeva la cima in forma netta di piramide spiccare azzurra fra gli altri monti grigi alla luna.
Camminava agile, lieve, con la bocca del fucile sopra la spalla, scintillante come un anello d'argento.
Adesso, sì, gli pareva d'essere alto fino a toccare la luna ― come sognava da ragazzetto quando guardava febbricitante e affamato le gregge altrui. Tutto gli passava sotto ed egli poteva afferrare tutto e atterrare tutto, giù ai suoi piedi, con un colpo del dito.
Era diventato padrone come anelava nel tempo della sua servitù. Marianna, la sua padrona di quel tempo, quella che neppure lo guardava in viso, Marianna lo amava e aveva promesso di aspettarlo. Come tutto questo era accaduto? Appena l’aveva riveduta lassù davanti alla casa colonica, nei luoghi ove era stato servo maltrattato dai servi, gli erano tornati tutti i suoi desideri violenti di quel tempo, tutti personificati in lei. Afferrare lei era afferrare tutte le cose che lei rappresentava: quindi era rimasto in agguato nel bosco intorno a lei, per darle la caccia. Ma nell'agguato pensava al come prenderla meglio; viva e non morta, in modo da possederla per sempre e non per un istante solo.
Così le era caduto ai piedi, invece di aggredirla, e adesso era contento di aver fatto così, di averla raggiunta come l'immagine in fondo al pozzo. Raggiunta? D'un tratto si fermò, si volse, guardò lontano verso la macchia nera della Serra.
E un ansito gli gonfiò il petto.
Dapprima fu il desiderio della donna, poi il pentimento di non averla presa. Raggiunta? Ma se invece era lontana, inafferrabile come l'immagine in fondo al pozzo? E si sentì destare dentro come una bestia feroce che gli dormiva in fondo alle viscere e d'un tratto svegliandosi lo squassava tutto e lo faceva balzare: un urlo di fame e di dolore gli risuonava dentro, gli riempiva di fragore le orecchie e di sangue gli occhi.
Si buttò giù convulso, premendo a terra il petto e le viscere per schiacciare la bestia e respingerla a fondo nel suo covo; per impedirle di costringerlo a tornare indietro e prendersi Marianna anche attraverso il sangue e la morte.
Passata la convulsione si sollevò; sudava e tremava ancora, ma stette sull’erba, lisciandosi forte i capelli con la palma delle mani; poi si fiutava le dita e sentiva l’odore di Marianna. Ricominciò a parlarle, con voce sommessa, col petto palpitante ancora della lotta feroce contro se stesso.
« Vedrai, non ti farò del male, Marianna, vedrai. Tu, sta tranquilla e ferma: io andrò, andrò come la sorte mi spinge, come Dio comanda, e troverò fortuna a tutti i costi, sì, dovessi andare dove finisce l'arcobaleno.»
Riprese a camminare.
Grazia Deledda, Marianna Sirca [Fratelli Treves editore, Milano, 1915], Biblioteca Economica Newton, 2004, pp. 47-48.
TRADUCTION
Il marcha jusqu’à l'aube en se dirigeant vers le Mont Gonare dont il voyait la cime et sa découpe en forme de pyramide, qui se détachait bleue parmi les autres montagnes que la lune rendait grises.
Il marchait, agile, léger, le fusil à l'épaule, et le canon étincelait comme un anneau d'argent.
Maintenant, oui, il lui semblait avoir grandi au point de pouvoir atteindre la lune – comme il en rêvait, enfant, tout en regardant, fébrile et affamé, les troupeaux des autres. Tout lui était à portée de main et il pouvait tout attraper, tout jeter à terre, là, à ses pieds, d’une simple chiquenaude.
Il était devenu patron comme il avait aspiré à le devenir, du temps de sa servitude. Marianna, la patronne de ce temps-là, celle qui ne lui adressait jamais un regard, Marianna l'aimait et avait promis de l'attendre. Comment tout cela était-il arrivé ? À peine l’avait-il revue là-haut devant la ferme, dans les lieux où il avait été serviteur maltraité par les serviteurs, que lui étaient revenus tous les désirs violents de cette époque, tous personnifiés en elle. Se saisir d’elle, c’était se saisir de tout ce qu’elle représentait : ainsi il était resté à l’affût dans le bois qui l’enveloppait, pour lui donner la chasse. Mais dans cet affût il pensait à la meilleure façon de la prendre ; vivante et non pas morte, de manière à la posséder pour toujours et non pour un instant seulement.
Ainsi, au lieu de l’attaquer, il était tombé à ses pieds, et à présent il était content d’avoir agi ainsi, de l’avoir rejointe comme l’image au fond du puits. Rejointe ? Il s’arrêta net, se retourna, regarda au loin en direction du maquis noir de la Serra.
Et un halètement lui gonfla la poitrine.
Il eut d’abord le désir de cette femme, puis le regret de ne pas l’avoir prise. Rejointe ? Mais si, tout au contraire, elle était lointaine, insaisissable comme l’image au fond du puits ? Et il sentit rugir en lui comme une bête féroce qui dormait tapie dans ses viscères et qui, se réveillant subitement, le secouait de la tête aux pieds et le faisait bondir : un hurlement de faim et de douleur résonnait en lui, emplissait de fracas ses oreilles et ses yeux de sang.
Il se jeta, convulsé, sur le sol, écrasant poitrine et entrailles contre terre pour chasser la bête et la repousser au fond de sa tanière ; pour l’empêcher de le contraindre à retourner sur ses pas et à prendre Marianna même par le sang et par la mort.
La convulsion passée, il se souleva ; il transpirait et tremblait encore, mais il resta sur l’herbe, lissant avec force ses cheveux de la paume des mains ; puis il flaira ses doigts et respira l’odeur de Marianna. Il se remit à lui parler, à voix étouffée, la poitrine palpitante encore de la lutte féroce qu’il avait menée avec lui-même.
« Tu verras, je ne te ferai pas de mal, Marianna, tu verras. Ne t’inquiète pas, sois tranquille : moi j’irai, j’irai où le sort me pousse, selon la volonté de Dieu, et j’accomplirai mon destin quel qu’en soit le prix, même si, pour cela, je dois me rendre à l’autre bout de l’arc-en-ciel. »
Il reprit son chemin…
D.R. Traduction Angèle Paoli.
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