Jean-Honoré Fragonard (1732–1806) Le Baiser volé, 1756–61 Huile sur toile, 48,3 x 63,5 cm The Metropolitan Museum of Art, New York City Source Lettre LXVI LE VICOMTE DE VALMONT À LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous verrez, ma belle amie, en lisant les deux lettres ci-jointes, si j’ai bien rempli votre projet. Quoique toutes deux sont datées d’aujourd’hui, elles ont été écrites hier, chez moi, et sous vos yeux : celle à la petite fille, dit tout ce que nous voulions. On ne peut que s’humilier devant la profondeur de vos vues, si on en juge par le succès de vos démarches. Danceny est tout de feu ; et sûrement à la première occasion, vous n’aurez plus de reproches à lui faire. Si sa belle ingénue veut être docile, tout sera terminé peu de temps après son arrivée à la campagne ; j’ai cent moyens tout prêts. Grâce à vos soins me voilà décidément l’ami de Danceny ; il ne lui manque plus que d’être Prince. Il est encore bien jeune, ce Danceny ! Croiriez-vous que je n’ai jamais pu obtenir de lui qu’il promît à la mère de renoncer à son amour ; comme s’il était bien gênant de promettre, quand on est décidé à ne pas tenir ! Ce serait tromper, me répétait-il sans cesse : ce scrupule n’est-il pas édifiant, surtout en voulant séduire la fille ? Voilà bien les hommes ! Tous également scélérats dans leurs projets, ce qu’ils mettent de faiblesse dans l’exécution, ils l’appellent probité. C’est votre affaire d’empêcher que madame de Volanges ne s’effarouche des petites échappées que notre jeune homme s’est permises dans sa lettre ; préservez-nous du couvent ; tâchez aussi de faire abandonner la demande des lettres de la petite. D’abord il ne les rendra point, il ne le veut pas, et je suis de son avis ; ici l’amour et la raison sont d’accord. Je les ai vues ces lettres, j’en ai dévoré l’ennui. Elles peuvent devenir utiles. Je m’explique. Malgré la prudence que nous y mettrons, il peut arriver un éclat ; il ferait manquer le mariage, n’est-il pas vrai, et échouer tous nos projets Gercourt ? Mais comme, pour mon compte, j’ai aussi à me venger de la mère, je me réserve en ce cas de déshonorer la fille. En choisissant bien dans cette correspondance, et n’en produisant qu’une partie, la petite Volanges paraîtrait avoir toutes les premières démarches, et s’être absolument jetée à la tête. Quelques-unes des lettres pourraient même compromettre la mère, et l’entacheraient au moins d’une négligence impardonnable. Je sens bien que le scrupuleux Danceny se révolterait d’abord ; mais comme il serait personnellement attaqué, je crois qu’on en viendrait à bout. Il y a mille à parier contre un, que la chance ne tournera pas ainsi ; mais il faut tout prévoir. Adieu, ma belle amie ; vous seriez bien aimable de venir souper demain chez la maréchale de *** ; je n’ai pas pu refuser. J’imagine que je n’ai pas besoin de vous recommander le secret, vis-à-vis de madame de Volanges, sur mon projet de campagne ; elle aurait bientôt celui de rester à la ville : au lieu qu’une fois arrivée, elle ne repartira pas le lendemain ; et si elle nous donne seulement huit jours, je réponds de tout. De… ce 9 septembre 17**. Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses [1782], lettre LXVI, Garnier-Flammarion, 1989, pp. 135-136. |
CHODERLOS DE LACLOS Source ■ Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos sur Terres de femmes ▼ → 4 octobre 17** | Les Liaisons dangereuses → 5 septembre 1803 | Mort de Choderlos de Laclos (+ un extrait d'Une liaison dangereuse, Lettres de La Haye, de Hella S.Haasse) |
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