
Ph., G.AdC
LA SEULE
Je connais déjà ta saveur
je connais l’odeur de ta main
maîtresse de la peur,
maîtresse de la fin.
J’ai touché déjà tes os
à travers ta chair sans âge
pétrie d’insectes millénaires
et de calices de fleurs futures.
J’ai dormi depuis les déluges, j’ai dormi
au fond de toi, sur ton épaule, j’ai dormi sans nom
― ta poitrine n’a pas changé
l’air de la vie n’a plus le nerf de m’éveiller ―
ne me nomme jamais, ne me réveille pas,
tes poumons immobiles ont désappris aux miens
à respirer le souffle faible de ce monde,
le mourant ! car il agonise dans les trompettes,
les pluies battantes, et qu’il crève, le géant faible,
monde vieillard qui s’époumone
dans le feu pâle auréolant ta tête.
Cette lueur, ô veilleuse aveugle des morts, pensante
sans sommeil au fond des rêves
loin de l’huile de la vie,
endormeuse, nous avons ensemble ce secret
que je t’ai pris au carrefour martelé de lune ;
souviens-toi, tu étais habillée en petite fille,
tu guettais sur les dalles, la bouche sur ton secret. […]
René Daumal, Le Contre-Ciel [1936], Gallimard, 1955 ; Collection Poésie, 1970, pp. 62-63.
Ce genre de caillou blanc semé sur le chemin, suffit à illuminer une journée... Merci donc, Angèle
Rédigé par : Scurinella | 22 mai 2008 à 09:25
les auteurs du Grand Jeu sont sur ma table de nuit et Daumal reste celui qui m'émeut chaque fois
quelle musique et quelle prescience
Rédigé par : Viviane | 24 mai 2008 à 09:58