Poète originaire de Florence, Elisa Biagini, qu’Angèle Paoli a récemment présentée sur Terres de femmes, était l’invitée d’Alessandro De Francesco, professeur à l’ENS Lettres et Sciences Humaines de Lyon, le mardi 13 mai, dans le cadre de son séminaire « Initiation à la poésie italienne contemporaine » pour une « lecture conférence » centrée sur le travail d’écrivain d'Elisa Biagini.
Deux ouvrages emblématiques de son projet poétique ont été choisis pour la lecture, en italien par leur auteur, en traduction française par Alessandro De Francesco, après leur présentation éclairante : L’ospite, paru chez Einaudi à Turin en 2004, et Nel bosco (Einaudi, 2007), le plus récent.
Elisa Biagini définit le premier comme un roman en vers construit à partir de la figure de sa grand-mère, avec laquelle un dialogue est entamé. Mais elle insiste sur le fait qu’il n’y a pas dans ce texte de dimension biographique, cette figure restant métaphorique dans ce qu’elle appelle une sorte de manifeste sur le thème du corps à partir de trois éléments : la maison, la nourriture, le corps. On saisit donc d’emblée l’ambition de ce poète pour qui la méthode est l’élément fondamental du processus d’écriture. Cette méthode implique un contrôle strict de la dimension émotionnelle de l’écriture qui en exclut nécessairement la spontanéité.
Le recueil Nel bosco, reprenant ce thème prégnant du corps, est évidemment le fruit de cette méthode et développe ce manifeste. Il s’agissait pour l’auteur de réécrire l’histoire du Chaperon rouge, en la lisant d’abord dans toutes les versions possibles, puisqu’elle existe dans toutes les cultures, pour recréer la valeur symbolique des personnages. À la question d’un auditeur estimant que cette poésie peut relever d’une sorte de « nombrilisme autoréférentiel », Elisa Biagini répond qu’elle a choisi un thème qui passe par la nécessité de raconter sa propre expérience. Elle acquiert sa connaissance du monde par le biais du corps et sa poésie, à travers son expérience individuelle, à l’égal de celle d’Emily Dickinson, par exemple, est en quelque sorte « politique ». Son travail d’écriture naît d’un refus de ce qu’elle appelle « une poésie de la consolation », actuellement très présente en Italie, qui a tendance à « consoler », c’est-à-dire à donner des réponses au lieu de poser des questions.
La lecture de plusieurs extraits des trois sections du recueil Nel bosco est complétée, dans un souci de lecture alternative, par une courte vidéo « sans prétention artistique », réalisée dans un bois hivernal de Toscane, qui souligne le caractère fortement « élémentaire » de cette poésie.
Alessandro De Francesco noue alors un dialogue avec son invitée en comparant les deux ouvrages présentés. S’il reconnaît des éléments stylistiques identiques, il voit entre eux une grande différence dans la forme, proche de celle du haïku dans les poèmes encore plus elliptiques de Nel bosco, mais aussi dans le « panorama expressif ». Il constate dans ce recueil une dimension conceptuelle plus poussée. Le champ sémantique relève à ses yeux d’une façon plus systématique d’une certaine « récupération très personnelle d’une forme de lyrisme » où le cœur (physique) est présent en tant que moteur.
Dans sa réponse, l’auteur, fidèle à la ligne de sa poétique, défend vivement l’analogie entre les deux textes, dont chacun crée un espace émotionnel très concentré (la maison, le bois). Si pour Paul Celan, un auteur dont elle se sent proche, la langue est « patrie », elle précise qu’elle la voit quant à elle comme un « espace », et cet espace est, dans l’écriture, précisément celui d’une « intervention politique ». Plusieurs auditeurs interviennent sur ce thème riche, récurrent dans son exposé, ainsi que sur la pensée de Celan ou sur les caractéristiques et l’évolution de la poésie en Italie.
La hache, instrument de menace, mais aussi de nettoyage, figure clairement le travail du poète tel que l’entend Elisa Biagini, car dans « un monde de palabres où les projets ne peuvent vraiment aboutir », la tâche de la poésie est « de ramener à la substance des choses ». On se prend à rêver avec elle de la victoire « politique » de la métaphore.
Marie-Ange Sebasti
D.R. Texte Marie-Ange Sebasti
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