Le
30 mai 1778 meurt à Paris François-Marie Arouet, dit
Voltaire.
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MORT, FARCE ET APOTHÉOSES
Mme Denis, qui s’ennuyait mortellement à Ferney, n’eut de cesse de ramener son oncle à Paris. Elle abrégea sans doute sa vie, mais lui permit une sortie de scène digne de lui. Arrivé le 10 février 1778, il tombe malade dès le 17 [...]. À ne pas se confesser, il risquait d’être jeté à la voierie. Mais le clergé n’allait sans doute pas manquer d’exiger davantage : une rétractation solennelle. Que faire ? Un abbé se présente, qui plaît à Voltaire : « C’est un imbécile […] cela sauvera du scandale et du ridicule. »
Le 2 mars, au beau milieu du « confiteor », l’abbé Gaultier lui donne à signer une rétractation, « pour vous épargner la peine de la composer vous-même ». Mais il reste quelques forces à M. de Voltaire : « C’est moi-même qui vais le faire… », et il la fait d’un trait. Que dit-il ? Non pas qu’il est catholique. Non pas qu’il renie ses œuvres, mais que « s’il avait jamais scandalisé l’Église, il en demande pardon à Dieu et à elle » !
Apaisé par cette rétractation, il se confesse et reçoit l’absolution. Mais ses crachements de sang lui interdisent malheureusement toute communion ! Un peu inquiet, l’abbé lui fait alors signer un post-scriptum, qui dément à l’avance un éventuel reniement du mourant. Est-ce la faute de Voltaire si, cette rétractation de la rétractation, il l’avait déjà rédigée ? « Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, et en détestant la superstition. » Que ce credo déiste ne dise pas comment on peut « détester » sans « haïr », n’enlève rien à son panache.
La perspective, même repoussée, de la communion avait apparemment revigoré le terrible vieillard : le 30 mars, il reçoit l’hommage de l’Académie française, et la foule le porte en triomphe à la Comédie-Française, pour la sixième représentation d’Irène. Mais il reste interdit à Versailles, et son sacre exaspère les dévots.
Le 23 mai, bourré d’opium, il est à l’article de la mort. Plus d’abbé Gaultier : c’est le curé de Saint-Sulpice, plus rigoureux, qui vient exiger une rétractation en règle. Mais Voltaire n’est plus en état de discuter théologie.
L’Église et le Pouvoir tombent d’accord le 23 mai pour éviter le scandale par qui tout arrive : on transportera Voltaire à Ferney, après sa mort, comme si le malade voulait rentrer chez lui, ce qui escamote élégamment l’épineux problème de l’inhumation ou du permis de transport du corps.
Mais le neveu de Voltaire, l’abbé Mignot, se souvint que son oncle était rusé. Il obtient de l’abbé Gaultier « un billet de banque pour l’autre monde », un billet de confession laconique mais en règle : « Je déclare que j’ai été appelé pour confesser M. de Voltaire, que j’ai trouvé hors d’état d’être entendu et sans connaissance. Ce 30 mai 1778. » Voltaire mourut en effet le soir même. On embauma son corps, et on l’emporta, mais pas à Ferney ! À Scellières, chez l’abbé Mignot, dans le diocèse de Troyes ! Où on l’enterra le 2 juin, juste avant qu’une lettre de l’évêque de Troyes ne l’interdise. « Voltaire avait joué son dernier mauvais tour aux prêtres. Après leur avoir escroqué une communion en 1768, une autre en 1769, une absolution le 2 mars 1778, il obtenait le 2 juin des obsèques religieuses qui ne furent pas sans solennité » (René Pomeau1).
« Des extrémistes songèrent à une exhumation, qu’on se garda de leur accorder. On se vengea en lui refusant une messe à l’Académie française, réclamée par… d’Alembert, et en déplaçant le pauvre desservant de Scellières ! Somme toute, Voltaire s’était mieux tiré des griffes du clergé parisien que de celles de Frédéric II à Francfort. Son ami Frédéric se révélait mauvais prophète, qui prédisait que Voltaire les déshonorerait tous, par panique, à l’article de la mort, le dernier de son inépuisable dictionnaire philosophique.
À défaut de l’immortalité de l’âme, dont il ne s’était jamais vraiment persuadé, d’autres apothéoses l’attendaient, et bien des reniements. Sa vie posthume se devait de rivaliser avec son existence agitée. On ne se débarrasse pas d’un Voltaire avec un diabète, une strangurie, et un billet de confession. »
Jean Goldzink, La légende de Saint Arouet, in Voltaire, Gallimard, Collection Découvertes, 1989, pp. 118 à 122.
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1 René Pomeau, La Religion de Voltaire, Nizet, 1969, p. 547.
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