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TRIESTE
28 avril 1984
Depuis quelques années Trieste fait peau neuve. De nombreux édifices du centre-ville, essentiellement grâce à l’aide des Assicurazioni Generali, ont été rénovés, et les façades, restaurées et nettoyées, ont été lavées des noires salissures du temps et affichent la noblesse de leur style, exhibant leurs belles frises liberty et les tympans néoclassiques de leurs fenêtres. Je ne m’étais jamais rendu compte auparavant que j’habitais une ville fascinante y compris du point de vue architectural ; aujourd’hui, quand je marche dans les rues, je ne m’en tiens plus à regarder les passants ou les vitrines des magasins, mais il m’arrive souvent de lever volontairement les yeux et de porter mon regard vers le haut. Je découvre ainsi une nouvelle dimension de cette ville, celle des balcons, des pilastres, des frontispices et des toits, au-dessus desquels s’ouvrent, comme dans un miroir, les larges allées du ciel.
Aujourd’hui, le long des quais, les mosaïques du palais de la Préfecture scintillent en des palpitations dorées, et les collines du Carso qui surplombent la ville resplendissent, verdoyantes, avec leurs nouveaux bourgeons. Et le vent, frais et sonore, apporte par rafales le parfum et le présage de nouvelles floraisons, peut-être lointaines, qui sait, au fond de la mer ?
Marisa Madieri, Vert d’eau, L’Esprit des péninsules, 2002. Postface de Claudio Magris. Traduit de l’italien par Pérette-Cécile Buffarria. In Le Goût de Trieste, Mercure de France, 2003, p. 91.
NOTE de L'ÉDITEUR-WEBMESTRE de TdF
Dans la collection « Le Petit Mercure », animée par Colline Faure-Poirée, est joliment déclinée toute une gamme de petits livres-objets, ouverte à tous les genres littéraires. Ils ont la forme de vade-mecum au format de poche. Et la particularité notable et appréciable d’être vendus à un prix fort modique. Parmi eux, dans la série « Le Goût des villes », je recommande particulièrement Le Goût de Trieste. Y sont rassemblés des textes choisis et présentés par Gérard-Georges Lemaire (italianiste réputé et directeur de la collection « Les derniers mots » chez Christian Bourgois auprès de qui il a travaillé pendant près de trente années). Parmi ces textes, j’ai pu remarquer des textes de référence, mais aussi de nombreux textes inédits ou peu connus d’auteurs confirmés, certains d’entre eux ayant la réputation d’être introuvables (ceux de Virgilio Giotti en particulier, ou du Slovène Srecko Kosovel).
Après une remarquable préface historico-littéraire où Gérard-Georges Lemaire souligne ce pour quoi Trieste a acquis dans l’Histoire son statut singulier (carrefour des cultures germanique, italienne et slave), mais où il analyse aussi le grand mythe littéraire que constitue Trieste (Trieste, mélancolies et paradoxes : « Les détours de l’Histoire », « Trieste à l’écart du grand Tour », « Une création littéraire ex nihilo », « L’invention tardive de Trieste par les lettrés français », « En guise d’invitation à un voyage futur »), suivent trois grands chapitres : « Une Histoire et un mythe tourmentés », « Vedute et scènes triestines dans les yeux de ses écrivains », et « Tout autour de la Ville ». Chapitres précédés d’une page d’accueil entièrement consacrée à Egon Schiele, qui connut à Trieste ses heures de prison.
Dans chacun des chapitres, le plaisir du lecteur est de suivre les traces de toutes les figures littéraires ayant vécu à Trieste (James Joyce, Umberto Saba et Italo Svevo en particulier) ou y ayant simplement fait escale, mais aussi de musarder parmi les lieux emblématiques qui participent de la quintessence du microcosme triestin. En s’asseyant par exemple à la même table que celle de Giorgio Voghera ou de Claudio Magris au Caffè San Marco ou en marchant le nez en l’air, dans les rues de Trieste, « où l’azur du ciel, dans les matins les plus venteux et limpides, a la lumière du regard » (Quarantotti-Gambini) d’une compagne ou d’un compagnon imaginaire ou aussi énigmatique que Roberto Bazlen (cf. Le Stade de Wimbledon, roman et film).
Dans la même collection, je conseille également Le Goût de Vienne et Le Goût de Prague. Toujours sous la houlette de Gérard-Georges Lemaire.
Yves Thomas
Ravi de croiser encore Marisa Madieri... Je n'ai pas oublié La Clairière (Ed. Esprit des Péninsules), fable belle et nostalgique...
Rédigé par : Scurinella | 28 avril 2008 à 23:06
Je ne saurais trop recommander le poétique livre Verde Aqua de Marisa Madieri, c'est un petit bijou. Elle y renoue avec ses impressions d'enfant d'exilés à Trieste et nous communique avec subtilité ce que cela représente de grandir entre deux identités. Malheureusement, il y a quelques années, ce livre était introuvable en italien.
Rédigé par : Elsa | 29 avril 2008 à 00:32
Merci à tous deux, Elsa, Scurinella, pour ces compléments bibliographiques. Je vais essayer de trouver ces textes, en italien et en français. En comptant sur ma bonne étoile et sur mes ami(e)s.
Rédigé par : Angèle Paoli | 29 avril 2008 à 15:08