Lu 27.3.1995
C'est aujourd'hui que commencent les travaux de fouille destinés à atteindre et à colmater la fissure qui est apparue dans le mur du sous-sol. Levé à six-heures et demie. Comme nous avons passé l'heure d'été, il fait nuit noire et il me semble être subitement revenu dans l'hiver, à reculons. Lorsque je rentre après avoir administré mes quatre heures de cours, une tranchée profonde de plus de deux mètres, large de un, longue de quatre, a été ouverte devant le mur du bureau. La pelle mécanique – Komatsu – est au repos. À deux heures, M.M., l'entrepreneur, est de retour. Il me montre l'imperceptible lézarde qui court le long du mur, sous la terrasse. C'est elle qui a causé les infiltrations. Il perce une bouche d'aération au sommet du mur. Cela fait grand bruit. Impossible de rien faire. Et puis il a plu, il tombe à deux ou trois reprises, des flocons, un temps contraire aux travaux en plein air. Je quitte à nouveau la maison, vers quatre heures, pour le conseil de classe des cinquièmes. La R21 produit au moindre cahot, un bruit de métal entrechoqué que j'ai entendu, pour la première fois, samedi, en reculant. Comme si ce n'était pas assez de complications ! Je téléphone au garage des Ullis. Le rendez-vous est fixé à vendredi. Comme je crains que la voiture ne m'abandonne n'importe où, je la conduirai dès demain au garage.
Conseil de classe, agacement, écœurement. Je rentre à six heures et quart. Sur le paillasson, un mot de Paul, avec une faute d'orthographe. Il est chez nos voisins parce qu'il a oublié ses clés. Je lui avais bien dit, hier, que je ne pourrais pas venir le chercher à son collège, étant occupé dans le mien. Il n'a pas entendu. Et déjà, il s'est installé devant l'ordinateur et perd son temps à des jeux dignes, à peu près, d'un enfant du cours élémentaire alors qu'il a, demain, un contrôle d'histoire. Tant de négligence, de paresse, d'inconscience, à bientôt quinze ans, m'irritent considérablement. M.M. a aveuglé la fissure, comblé la tranchée. Un travail soigné. Il a déposé les pieds de lavande sous la fenêtre du bureau, évolué précautionneusement entre les arbres fruitiers, sur la pente. Mais le devant de la maison est à nouveau bosselé, saucé de glaise, et le versant du terrain labouré par les chenilles. Il va falloir manier la pelle et la pioche et cette perspective, fatigué que je suis, me démoralise. Couché tôt.
Pierre Bergounioux, Carnet de notes, 1991-2000, Éditions Verdier, 2007, pp. 543-544.
C'est nullissime, artistiquement et humainement... incroyable que Verdier, si exigeant, ait pu éditer ça si c’est tout de la même eau; je n'en reviens pas.
Rédigé par : Pascale Arguedas | 28 mars 2008 à 08:05
Étrangement, Pascale, vos réflexions me font sourire. Elles me mettent presque en joie ! Étrangement, parce que j’ai longtemps pensé la même chose que vous. Oui, toutes les pages du Carnet de notes (et non pas Carnets comme on pourrait s’y attendre) sont à peu près de la même eau, même si, d’une année à l’autre, il y a des variantes. Ainsi, l’année 95 est davantage centrée sur les conférences données à Lyon, les doléances quotidiennes au sujet des résultats scolaires de Bilou, les démêlés de Cathy (sa femme) avec le laboratoire de recherche où elle travaille. Les années antérieures portent davantage sur la passion de Bergounioux pour le travail du métal, aux Bordes (Corrèze) où il passe ses vacances de juillet. Mais le leitmotiv des fatigues et ennui occasionnés par le métier de professeur (ancien de Normale-Sup, Bergounioux est professeur de collège à Gif-sur-Yvette) est omniprésent.
Je suis plongée dans ce Carnet de notes depuis le mois d’octobre et je n’en suis qu’à la 553e page ! Pas tout à fait la moitié de ce volume. J’ai pesté pendant les 100 premières pages, jour après jour. Le Carnet me tombait littéralement des mains. Pour m’encourager à poursuivre la lecture de ce « carnet », je me suis même essayé à imiter Bergounioux. Mais il faut, à s’astreindre ainsi à une écriture du quotidien, une ascèse à laquelle seul un auteur à la rigueur janséniste peut se soumettre. Cet exercice, que j’ai très vite interrompu, m’a pourtant permis de comprendre que l’intérêt (ou la valeur) de ce carnet était probablement ailleurs. Mais où ? Pas dans le style, pas dans l’écriture, donc, qui se veut directe, sans recherche apparente, au ras du vécu. Je me suis entêtée en essayant de me convaincre que, puisque les éditions Verdier honoraient tant Pierre Bergounioux, c’est que cela valait sans doute la peine de vraiment le lire. Alors ?
Je continue de chercher, deux fois par jour, le matin avant de me lancer dans les exploits de ma propre journée et le soir avant d’éteindre ma lampe. Et je ris ! Souvent ! De voir cet homme, passablement déprimé et en fin de compte très attachant, se démener comme un diable, entre ses diverses tribulations – qui sont aussi les nôtres – , ses déceptions, ses amertumes, ses fatigues, sa lutte pour trouver encore le temps de lire (dommage qu’il ne dise rien sur les ouvrages qu’il dévore) et celui d’écrire. Il peine, il souffre, ahane, fulmine contre les autres mais aussi contre lui-même. Râle sur ses insuffisances, sa médiocrité, ses exacerbations, ses difficultés à accomplir sa tâche. Car, parallèlement au Carnet de notes, Bergounioux conduit bien d’autres ouvrages et mène de front d’autres formes d’écriture. Il n’y a qu’à consulter sa bibliographie pour constater que son parcours littéraire est d’une richesse incroyable. Depuis la publication chez Gallimard de Catherine en 1984 à 2007 où il a publié Les Forges de Syam, la production de Pierre Bergounioux est quasi ininterrompue. Le Carnet de notes fait aussi état de ses avancées douloureuses et complexes dans l’écriture. Et au dire de certains (Le Figaro littéraire), Pierre Bergounioux figure en bonne place pour entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade. Tout comme Pierre Michon (son ami de toujours), dont c'est aujourd'hui l'anniversaire.
Rédigé par : Angèle Paoli | 28 mars 2008 à 12:56
Angèle, j'habite Gif-sur-Yvette... Quelle tristesse, quelle misère qu'un écrivain capable du meilleur (Simples, magistraux et autres antidotes; Un peu de bleu dans le paysage; B17-G) est aussi capable du pire (Carnet de notes). Quel malheur de savoir nos collégiens entre les mains de tels individus ! Quant à l'écriture, au ras des pâquerettes, alors qu'elle sait être géniale, qu'en penser ? Je suis perplexe. Est-ce une politique d'auteur de la part de Verdier qui n'a su refuser ? Grand dommage, très grand dommage... (et dans le deuxième tome, rien ne change).
Rédigé par : Pascale Arguedas | 28 mars 2008 à 13:36
Bonjour Angèle.. cet homme Pierre m'intrigue depuis longtemps, et là à voir la photo donnée par son éditeur, son regard intelligent... quel livre me conseilleriez-vous pour entrer dans son oeuvre ?
je vous embrasse ainsi qu'Ivucciu
Rédigé par : Christie | 28 mars 2008 à 15:55
Des portraits qui en disent long sur Pierre Bergounioux, par Olivier Roller, ce photographe dont Clara Dupont-Monod dit :
" De toutes façons, avec un appareil photo dans les mains, il a toujours l'air encombré. Il n'est pas du tout comme ceux qui disent "je suis né avec", "c'est naturel", "j'ai ce truc dans le sang"... Lui, il n'a rien du tout dans le sang, il n'est pas né avec ça, au contraire: il a rencontré la photographie presque par hasard, il a tâtonné, il a pris son temps, - un grand amour, ça s'apprivoise. Rien n'est naturel : chaque photographie est un effort, une énergie colossale, un travail qui le laisse pantois. "
Amicizia
Guidu___
Rédigé par : Guidu | 28 mars 2008 à 18:17
Chère Christie, J'en suis presque au même stade que vous (hors ce Carnet de notes qui met Pascale A. hors d'elle). Intriguée, je le suis, c'est le moins que je puisse dire. Je pense que je vais commencer par lire Les Forges de Syam, aux Editions Verdier, et sans doute aussi La Toussaint et Miette que Pierre Bergounioux évoque dans ce Carnet de notes. Vous me direz ?
Rédigé par : Angele Paoli | 28 mars 2008 à 18:36
=> Guidu
Ohlala! C'est terrible! C'est affreux! C'est hideux! Je ne vais plus pouvoir lire Bergounioux!
NON ON ON ON ON!!!!
Rédigé par : Angele Paoli | 28 mars 2008 à 19:21
moi elles me plaisent ces photos (mais c'est vrai qu'on a besoin de désirer pour lire...)
oui je vais essayer Miette, j'aime bien ce nom ; La Toussaint aussi d'ailleurs, je suis née à ce moment-là, berk
Rédigé par : Christie | 02 avril 2008 à 10:56
je dois être un cas - je ne suis pas toujours d'accord avec l'homme, mais c'est souvent le cas quand nous nous avouons ce que nous pensons, faibles que nous sommes, le tout est de ne pas se complaire. Et je goûte le style, une adéquation assez parfaite - et puis il y a les notations sur le ciel, la nature. Et ses batailles avec le fer.
Sans doute mon incapacité à juger.
Moi je suis bien dans ce carnet.
Et les forges, justement, plus que le sujet, valent par la description du lieu et la façon dont il la combine avec l'histoire, etc...
Rédigé par : brigetoun | 06 avril 2008 à 23:01