Le 1er mars 1972 meurt à Florence (Villa dell’Ombrellino) la romancière anglaise Violet Tréfusis
BRODERIE ANGLAISE
De mois en mois, Alexa gagnait du terrain ; John fut bientôt pris dans un réseau d’habitudes grâce auxquelles il crut retrouver un bonheur qu’il n’avait jamais connu. Sa passion ombrageuse pour Anne, ses rapports éphémères avec d’autres femmes, ne lui avaient laissé que des souvenirs noirs ou blancs. Or il découvrit que le bonheur est d’une teinte neutre…
Les années se succédèrent. Au plat « confortable » de leur liaison, John ajoutait le souvenir d’Anne comme piment. Chose curieuse, ses conquêtes plus récentes avaient moins de saveur, parce que matérielles, parce que disponibles. Anne, déformée par son imagination, drapée dans sa légende, exerçait sur lui l’attrait d’un mirage.
Alexa était moins jalouse du présent que du passé, mais à vrai dire, sa jalousie était comme un écureuil qui rebondissait de branche en branche. Elle visait tantôt le passé, tantôt le présent, comme tout à l’heure, tenez ! au sujet de la petite Manning… Seulement, voilà ! « Elles sont mal faites, mes scènes de jalousie, conclut-elle avec une moue de dépit. Des scènes dans le vague qui ne s’appuient sur aucune pièce à conviction. On les éviterait facilement avec un sourire, un haussement d’épaules. Il aurait fallu lui jeter négligemment une lettre comme cela se fait au théâtre, allumer une cigarette pendant qu’il la lisait…
― Je l’ai trouvée par terre quand on faisait la chambre.
Et lui, blême, confondu :
― Et que comptez-vous faire à présent ?
― Vous quitter, cher ami, lui lancerait-elle à travers une volute de fumée, sans nullement se départir de sa sérénité. »
Bien entendu, elle n’en ferait rien mais il s’agissait de le punir, de le plonger dans l’angoisse. Une bouffée de vent sonore, s’engouffrant dans la cheminée, le ramena au sens de la réalité. Au même instant, à l’étage supérieur, une porte claqua. Alexa tressaillit. Le vent de mars lui apparut sous l’aspect d’un ruffian, une perle à l’oreille, un poing sur la hanche. Un Franz Hals, trousseur de filles, avec des nuages affolés attachés au bout de sa longue pipe. Brutal, il giflait les maisons et rajeunissait le temps.
Comment Alexa n’eût-elle pas pensé aux premiers mois de sa liaison avec John, qui ne pouvait entendre le vent sans pâlir ?
― Anne l’aimait tant, vois-tu, lui expliquait-il. Elle ne permettait qu’au vent de lui couper la parole. Parfois elle s’interrompait au milieu d’une phrase pour l’écouter. Quand le vent soufflait, il prenait part à nos conversations, seulement elle lui accordait plus d’attention qu’à moi. « Quand je serai morte, disait-elle, nous ne nous quitterons plus. Mes cendres seront éparpillées de par le monde. J’attends d’être morte pour voyager à peu de frais. » Et puis le vent l’embellit : elle a des cheveux aptes à la lutte et réfractaires au repos.
Cette phrase était restée gravée dans la mémoire d’Alexa. Et elle, avait-elle des cheveux réfractaires au repos ?
Violet Tréfusis, Broderie anglaise, Plon, 1935 ; 10/18 domaine étranger, Union Générale d’Éditions, 1986, pp. 112-113-114.
VIOLET TREFUSIS - (sur le site des Après-midi de Saint-Loup) une notice biographique sur Violet Tréfusis. |
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"Quand je serai morte, disait-elle, nous ne nous quitterons plus. Mes cendres seront éparpillées de par le monde..."
Oui. Enfin !
Rédigé par : agnès | 04 mars 2008 à 11:58