Revue de presse
Dans le dernier numéro de la revue Europe (janvier-février 2008, n° 945-946, pp. 354-355),
le recueil Noir écrin fait l’objet d’une note de lecture de Joëlle Gardes *.
Angèle PAOLI : Noir écrin (A Fior di Carta éditions, 20228 Barrettali, 12 €).
Après avoir beaucoup écrit sur les autres, Angèle Paoli a franchi le pas avec bonheur pour parler sinon directement d’elle-même, du moins des rives insulaires qui lui sont chères depuis l’enfance. C’est, comme le dit le sous-titre, une poésie « cap-corsaire » qui se tisse dans ces textes où la brièveté des lignes et les pauses de blanc et de silence permettent la rêverie. Le regard attentif aux moindres détails s’attarde sur les paysages, la mer et les cailloux — les sassi — qu’elle lisse, les asphodèles et les euphorbes, les « fenêtres béant nues » des maisons abandonnées dans les hameaux livrés à l’abandon et à l’oubli. L’île est présente dans sa violence et son austérité, sous toutes les saisons, sous tous les cieux, limpides en hiver ou pommelés en novembre et l’extrême sensualité de l’évocation est renforcée par la musicalité et l’ivresse des sonorités — « l’île emmurée murmure ». Mais cette poésie toucherait moins si elle ne disait aussi et surtout la quête d’un autrefois, celui de « l’enfant ivre d’émois inviolés de la nuit », que nous portons tous en nous. Amarrée à la terrasse au tilleul, celle qui dit tantôt « je », tantôt « elle », tente de remonter le cours des jours. Si le temps a fait son œuvre de dispersion, si le temps, comme le dit si bien le poème « Et toi », s’est scindé en fragments mesurables quand il était fait d’éternité, l’écriture est là, qui, malgré son incapacité à retrouver « les enfances solaires », en capte parfois des échos. Les terres d’encre, celles de l’île ou celles du texte, aspirent à l’au-delà du ciel. Mais la cruauté de l’île bien-aimée est celle de tous les rivages de la Méditerranée où règne le tragique d’une lumière qui cache plus qu’elle ne dévoile, qui est « éclats de promesses et de rire » alors que sous « l’aplomb du soleil » tout sombre dans « le vertige de l’indicible ». Aussi cette poésie où l’île comme les corps semblent exulter est baignée d’une mélancolie douce comme la lumière d’un après-midi d’automne sur la terrasse.
Joëlle GARDES
* Joëlle Gardes est écrivain. Ancienne directrice de la Fondation Saint-John Perse (Aix-en-Provence), elle enseigne actuellement à l’Université Paris-Sorbonne (Paris-IV) sous le nom de Joëlle Gardes-Tamine.
NOTE de l'éditeur-webmestre de TdF : une autre note de lecture sur Noir écrin est actuellement en ligne sur la toile, sous la plume de Chantal Couëdic, dans la revue Poezibao de Florence Trocmé (voir infra) :
Noir Écrin comme un mandala obscur posé sur la mer. Angèle Paoli conjugue au pluriel l’espace et le temps, temps de l’enfance ré-inventée dans sa jubilante circularité, temps des ancêtres navigants, explorant, défrichant, bâtissant qui reviennent achever leur itinéraire dans l’île, comme poussés par un tropisme noir, temps de l’Archée mythique dont elle décrypte les traces helléniques comme des pas sacrés qui ensoleillent encore la terre de l’île. Temporalités et lieux qui s’emboîtent et se relient par d’invisibles connivences et cohabitent sans se gêner. C’est la magie du chairos, le moment opportun, le bon moment du poème auquel Angèle Paoli nous convie : le dit poétique dit l’île à double face, à la fois chthonienne et dévastatrice, celle qui comme toutes ces obscures déesses-mères retient ses enfants sur l’île close, et celle qui, ouverte à tous les vents, rêvant d’ailleurs, prête à l’altérité et à l’imprévisible.
Dans une langue claire et sensorielle, comme ses aînés elle explore, défriche, bâtit dans le champ de la parole jusqu’en sa fibre originaire, le son, la voix, le mot, le nom, dans son corps-à-corps avec la langue. Elle tente une percée à la verticale, toujours plus loin, pour revenir au proche.
Dans son hameau de Vignale, paradoxale, elle est à la fois au centre et ex-centrée. Au centre comme on l’est toujours quand on ose la parole qui donne lieu. Mais aussi ex-centrée dans l’extase et l’élan de ses voyages en tous sens.
Noir Écrin comme un point focal, fractal, à la croisée de voix multiples qui traversent et enchantent le monde.
Chantal COUËDIC **
** Chantal Couëdic vit à Lyon, où elle exerce le métier de psychologue clinicienne. Poète [un de ses recueils paraîtra cette année aux éditions A Fior di Carta], elle a notamment soutenu en 1990 une thèse de doctorat d’Université sur la pensée heideggérienne : Franchissement de la faille et avènement de la parole.
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