Phtocollage, G.AdC
HAINANG SUNAI SEQINEQ | SALUT À TOI, SOLEIL !
C’est donc le 13 février seulement que nous escaladons l’inlandsis. Le jour, lentement, se lève. Au sud, très loin au sud, une lueur paraît monter comme de derrière un décor. Au-dessus d’une terre d’ombres, un froid et large horizon se dégage de la grisaille hivernale. Une dominante de bleu et de gris qui se nuance dans la matinée de jaune, de carmin et de vert donnant aux nuages un reflet glauque d’aquarium. La glace opaline se teinte dans l’air mouillé de couleurs sous-marines. Des tons et des lignes pour une sensibilité aiguë, frémissante comme l’eau, avec une intuition de l’instant. Paysage à la limite du réel pour un Nicolas de Staël.
Cependant que nous poussons à grand-peine nos traîneaux sur la pente, un énorme soleil, pourpre mais comme mort, surgit enfin pour la première fois au-dessus de la crête. Le disque est d’une parfaite rondeur. Du groupe s’élève aussitôt une immense clameur.
« Hainang sunai seqineq ! Salut à toi, soleil ! Seqinniak ! Le soleil apparaît. »
Selon l’antique tradition, nous nous découvrons et, malgré le froid, jetons nos gants en l’air en criant de nouveau. Amaroq-Wulff, explorateur suédois, se serait moqué de ces croyances : en février 1917, il aurait négligé ces rites : et, comme le craignaient les Esquimaux, il est mort dans l’année, en septembre, lors de la seconde expédition de Thulé, qui s’est, nous le verrons, tragiquement achevée dans le nord de la Terre d’Inglefield.
Nos clameurs se perdent dans le vent et la neige ; nous grelottons. La tempête menace de nouveau. Qu’importe, puisque la nuit et ses lunes pâles s’éloignent ; à la clarté nébuleuse et glacée va succéder la nouvelle et triomphante saison. Mais patience ! L’Arctique n’est que paradoxe et ce retour du soleil se traduira par une offensive de froid encore plus aigu ; quelques jours et la température atteindra, lorsque le vent soufflera, son point le plus bas de l’année : ― 55 °C, ― 60 °C.
― Tu devrais, comme les Inuit jadis, tenir entre tes lèvres deux-trois brins d’herbe, me conseille Kutsikitsoq. Cela éviterait que la peau gèle autour de ta bouche.
Et, de fait, le procédé est efficace.
Jean Malaurie, Les Derniers Rois de Thulé, Plon, Collection Terre Humaine *, 1955 (1re édition) ; 1989, pp. 299-300.
* C'est par cet ouvrage qu'a été lancée, en 1955, la collection Terre Humaine.
Coïncidence... J'ai vu ce matin se lever le soleil, boule rouge de magma en fusion, véritablement. Touchée droit au coeur par cet évènement vécu maintes fois et qui donne pourtant toujours l'impression que c'est la première - et la dernière ? - fois.
Rédigé par : Pascale | 14 février 2008 à 09:48
C'est peut-être ce texte de Jean Malaurie qui m'a poussée hier soir à aller assister au coucher de soleil sur la mer. Une boule feu énorme dans un ciel clair et qui embrasait tout. Je suis restée immobile à contempler sa descente, calme et silencieuse, jusqu'à sa disparition finale, "cou coupé". La nuit et le froid sont tombés d'un coup, enveloppant tout dans leur mystère.
Rédigé par : Angèle Paoli | 14 février 2008 à 13:05
Bonjour Angèle, et bravo pour votre esprit vagabond !
Jean Malaurie a eu deux idées géniales : faire connaitre les Inuits et créer la collection "Terre Humaine"... Dans cette collection, avez-vous lu L'été grec de Jacques Lacarrière ?
Mais le monde évolue, en bien ou en mal, nul ne le sait... J'ai entendu un matin J. Malaurie dire que le climat du Groenland était en pleine mutation par le réchauffement et que les Inuits s'en réjouissaient... ? Il y aurait même un début de ruée humaine vers la Sibérie, par toutes les populations du Bengladesch et Indiennes qui vivent actuellement dans la pire misère.
Rédigé par : maudub | 07 août 2008 à 18:02