Fonds Comp’Act, 2005, L’Act Mem, 2007,
rééd. Éditions de l’Amandier, 2015.
Ph., G.AdC Alparegho Alparegho, Pareil à ? Pareil à qui ? Pareil à quoi ? Qui es-tu, toi qui traces ton chemin de poudres chamaniques en résonance avec les lointains de l’âme ? Alparegho, Pareil-à-rien ! Quel visage te donner, Alparegho, toi dont le visage troué, sans yeux ni bouche, est peut-être le visage de chacun, le visage de tous ? De quel pays es-tu, toi l’exilé sans terre et sans roi ? Quelle est ton histoire, « prince-de-rien » ? De quelle geste médiévale es-tu l’humble survivant, toi, « l’homme aux bandelettes », le cavalier cabossé « pareil-à-rien » ? De quelle épopée homérique oubliée es-tu le héraut humble et discret ? Alparegho, Pareil-à-rien ! J’interroge ma cartographie intérieure. Je voyage, Valparaiso ! Mais non, je m’égare, trop loin, bien trop loin, au-delà des Colonnes d’Hercule ! J’interroge ma mémoire latine et cabote, d’un poème à l’autre, entre fleuve et montagne, entre grottes marines et « coque » trempée de sel. Je fredonne au cœur de mon oreille le huitain ― ritournelle de comptine ― du titre : Alparegho, Pareil-à-rien ! Je le danse, comme toujours. Je le tourneRoule dans ma tête. Où se situe le seuil entre dissemblable et semblable ? Quelle part du héros l’emporte sur l’autre et annihile son contraire ? Est-ce l’identique, ce « par » répété de part et d’autre de la virgule ? Ou est-ce le dissemblable qui saute à cloche-pied du « reil » au « rien » ? Seule l’immersion dans la polyphonie du texte peut m’enlever dans ton histoire, « Pareil-à-rien », et me livrer peut-être une part du mystère de ton théâtre d’ombres. Je feuillette l’ouvrage d’Hélène Sanguinetti. Sept chapitres composent le corps du poème. Des chapitres d’inégale longueur où alternent strophes en caractères romains et strophes en italiques. Des imbrications de structures narratives ― apparentées au conte ― alternent avec prose poétique, laisses bercées par des reprises-cantilènes susurrées d’un couplet à l’autre ou lacérées par des cris de guerre éblouissant la page. Surgissent aussi tercets en lettres grasses et onomatopées en vibrato. Qui miment le crescendo-decrescendo de la voix qui les lance, scandent les appels en écho puis disparaissent et se noient. Et des tirets, de longs tirets à valeur de non-dits, en place des paroles. La phrase parfois tourne court, qui tient ses mots en suspens, « Veut s’accrocher un instant à ». Tout un travail de composition sur la scansion du récit, ses trouées de silence, sa ponctuation fortement émotionnelle, rythme le « narré » d’Alparegho. « Il n’y a que des phrases qui commencent,/ puis se trouent,/ les phrases sont avalées par le dragon/ aux yeux d’or qui veille dans la caverne… ». C’est ce que dit le « Je » qui fait brusquement irruption dans le récit. Un « Je » qui dit avoir un nom et un pays, peut-être un « Je » de l’enfance qui se souvient encore des « jeux de ballon » et de la « course ». Pris entre fracas des armes, suspens et silences, la geste d’Alparegho, Pareil-à-rien est à l’image du personnage lui-même. Indéfinissable. Une composition hybride d’un genre nouveau – tissée du merveilleux des contes et de ses magies, avec bestiaire fantastique et « formules éternelles », dragons et géants, nains et reines, guerriers et dictateurs, peuples criant famine et lâches qui se lamentent ― « Qu’est-ce qu’on en sait, nous, est-ce que c’est possible, c’est possible, ça ? » (Quelqu’un, sur le trottoir, s’excusait avec des larmes) ―, campagnes dévastées et meurtries, massacres et tueries, mélange des époques et des lieux, brouillage des langages et des voix. Cet étrange assemblage, miroir arlequin d’Alparegho, prend forme peu à peu autour du « pauvre guetteur », tout cousu et estropié, tout mangé et troué, dépecé, rafistolé-croûteux. Surgi d’on ne sait où. Arrivé quand ? Arrivé où ? Dans la maison, quelle maison ? La maison à l’échelle. La maison à l’escargot. Le « sans nom » reste là tout accroché, tout suspendu, équilibriste au bord de la chute. Ce jour-là, pourtant, jour de grand nettoyage, « de mise à nu dans le pays », est un jour de rencontre. Au milieu des voix ennemies ― (« Quelqu’un du village, qui s’avançait avec des griffes ») ― s’élève une petite voix qui hasarde des questions, interroge, têtue. Insistante et curieuse. Tenace. Le dialogue se noue entre « l’homme aux bandelettes » et la petite voix « douce et dure ». Une histoire d’amour partagé se tisse qui déroule ses échanges et se noue au fil des chapitres. Qui est-il, le sans-visage ? Il est celui à qui la petite voix demande de faire obstacle aux « brutes », celui qui rêve de serrer l’arc dans la paume de sa main. Ulysse, alors, et elle, qui tient dans la main « un vieux mouchoir durci », Pénélope ? Et eux, tous ces visages grimaçants sous leurs masques, les prétendants, alors ? Peut-être ! Lui, Alparegho, se définit comme celui qui donne ce qui le traverse ; il est celui qui offre son « visage qui n’a pas de nom ». « Moitié soleil et moitié lune dans ses yeux », il tient dans sa main « un grelot qu’il cache/ une étoile sauvée de la petite poche/ d’un mendiant, de l’œil rasé d’un âne/ quand il boit ». Il est celui qui « regarde d’où vient la nuit » ? Celui qui dit : « je viens d’où je vais. Ne veux de nom qu’un visage, fait de tout. » « Une petite énigme pour ce peuple de la mer. » Cavalier déchu qui tremble sous l’armure, lépreux condamné à l’errance, rejeté de tous parce que d’identité incertaine, Alparegho, Pareil-à-rien, offre le visage des rescapés des outrages du monde. « Plus qu’un visage ». Qui « se dilate à l’infini » *. Alparegho, Pareil-à-rien, Pareil-à-tous.
D’origine corse (Castagniccia), née à Marseille, Hélène Sanguinetti vit et travaille actuellement en Provence. Elle adore la mer - regarder le ciel - tailler les arbres en boule - dire ses textes - lire, beaucoup et très tard dans la nuit les entretiens, les écrits des peintres, les biographies, les livres des peintres, des aventuriers, penseurs, poètes, et aussi le journal L’Équipe. Elle adore le sport et en pratique plusieurs (elle regrette de ne pas avoir joué au rugby). Écrit du poème depuis toujours. Son premier livre, De la main gauche, exploratrice, a paru en 1999, dans la collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno. Elle est aussi l’auteure de D’ici, de ce berceau (Poésie/Flammarion, 2003), publié en avril 2007 dans une traduction anglaise d’Ann Cefola sous le titre : Hence this cradle (bilingue, Otis Books/Seismicity Ed., Los Angeles), d’Alparegho, Pareil-à-rien (Fonds Comp’Act 2005, L’Act Mem 2007, rééd. Éditions de l’Amandier, 2015), du Héros (Poésie/Flammarion, 2008) ; en 2009, de deux textes-voix chez publie.net (Collection L'Inadvertance dirigée par François Rannou), ouvrages à voir et à écouter : Toi, tu ne vieillis plus, tu regardes la montagne et Une pie ; en 2012, de Et voici la chanson (Éditions de l’Amandier, Collection Accent graves Accents aigus) ; en 2017, de Domaine des englués (éditions de La Lettre volée). Très proche de toutes les expressions plastiques, elle travaille depuis 2006 avec une artiste polonaise, Anna Baranek (Gora soli, l’attentive, janvier 2008) ; invitée en 2005 par la Maison des Écrivains et le Festival de Danses d’auteurs, elle poursuit son compagnonnage avec les corps en mouvement (travail en cours avec la chorégraphe Muriel Piqué, Cie comme ça). Claude Adelen, poète et critique, perçoit dans le poème d’Hélène Sanguinetti « des sortes de fiction, où l’on entrevoit les profondeurs de quelque roman familial à travers l’opacité d’un mythe » et parle pour qualifier son écriture de « noblesse et roture du langage » et de « souveraineté radieuse » (L’Émotion concrète, L’Act Mem, Fonds Comp’Act, 2004). |
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Dans le cadre du Printemps des poètes 2008, les éditions A Fior di Carta (Barrettali, Haute-Corse) et la revue Terres de femmes ont invité Hélène Sanguinetti à se joindre à elles le vendredi 14 mars prochain pour la soirée poétique qu'elles organisent (à partir de 18h00) dans l'Espace Art contemporain du prestigieux Domaine Orenga de Gaffory à Patrimonio (Haute-Corse).
En tant qu'invitée d'honneur, la poète Hélène Sanguinetti dira de longs extraits d'Alparegho, Pareil-à-rien et de son prochain livre, Le Héros (à paraître chez Flammarion, Collection Poésie, en avril prochain). Ce dit poétique sera suivi d'une table ronde avec les auteurs d'A Fior di Carta, et d'un libre échange en terres de poésie avec les invités de cette soirée.
À l'occasion de cette rencontre, Angèle Paoli exposera pour la première fois les planches originales du recueil Le Passeur de mélancolie qu'elle a conçu avec le directeur artistique de Terres de femmes : Guidu Antonietti di Cinarca.
Pour tous renseignements, écrire à Terres de femmes.
Un communiqué de presse officiel sera diffusé dans les jours prochains.
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 22 janvier 2008 à 23:11