Eva Almassy, Autobiographie d’un fantôme,
Médium, L’École des loisirs, 2007.
Ph., G.AdC
ADAM, GANT… ET ÈVE, DENTELLE
« Adam-gant », « Ève-dentelle ». L’Autobiographie d’un fantôme et autres fictions d’Eva Almassy se clôt sur le couple originel, appareillé, dans la dernière nouvelle du recueil, de manière originale et inhabituelle. En amont, une comptine en forme de déclinaison fantaisiste et drôle pour en finir avec le couple le plus célèbre de la création et ses innombrables incompatibilités. « Adam, va…et Ève, rêve. »
La fantaisie, ce pourrait être l’une des clés de ces récits brefs ― ton vif et enlevé ― brodés par l’auteur avec une finesse de dentellière. Car la dentelle est au cœur du style d’Eva Almassy, au cœur de chaque nouvelle. Comme gants et mitaines sont au cœur de chaque récit. Au centre aussi de chaque récit, le personnage féminin, Madeleine Delande (que j’ai la tentation, qui sait pourquoi, d’appeler Delalande). Écrivain, friande de fictions en tous genres, Madeleine a une particularité. Elle porte des gants pour écrire. Des gants, toutes sortes de gants, qui varient selon son inspiration du moment et influent sur son clavier. Car l’écriture, ici, passe par le clavier et par l’écran. Est-ce à dire que pour être écrivain il faille prendre des gants ? C’est bien possible, mais lesquels ? Pour Madeleine Delande, la question ne se pose plus depuis que révélation lui a été faite par le théâtre. Puisque les comédiens changent de personnages et de peau en changeant de costumes, pourquoi ne pas essayer de changer de gants ? Cela devrait produire le même effet. Et d’ailleurs écrire à « mains nues » entraînait toujours Madeleine dans de sempiternels ressassements de souvenirs. Il était temps pour elle de sortir des récits de sa vie et d’inventer d’autres formes d’écriture. Qui passent désormais par toute une collection de gants. Gants en guipure d’Irlande, mitaines de cuir façon motard, « jolis gants couleur crème trouvés dans un vide grenier, index de la main droite reprisé », gant de golf déniché dans une foire à farfouille ― gant de seconde main ―, longs gants de stars, qui, paradoxe des paradoxes, ne donnent que des histoires courtes, longue paire de gants nylon noir avec « trou microscopique » qui ne donne rien qui vaille, mitaines gothiques en résille noire qui dictent à Madeleine Delande son « autobiographie d’un fantôme ». Et, dernière trouvaille de l’écrivain qui joue son va-tout, l’expérimentation des gants dépareillés. Pour tenter d’échapper enfin aux histoires de couples. L’expérience se solde inévitablement par l’histoire du couple originel : « Adam, ha !...et Ève, hé ! ». Évidemment dépareillés !
Au gré de sa plume inventive et délicieusement ouvragée, points mimosa et points d’esprit, Eva Almassy entraîne le lecteur dans un monde d’aventures et de rencontres inattendues où rivalisent humour et fantaisie. Des récits où se mêlent gravité et légèreté, finesse et poésie. Et se savourent avec bonheur. Magique, l'Alma d'Eva ! Une âme qui a du corps !
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Source Photo : Eva Almassy
EXTRAIT
Madeleine Delande sentit une grande torpeur comme un brouillard descendre sur elle de la peinture un peu écaillée du plafond. Ce qu’elle ne faisait jamais, sauf en cas de maladie, elle s’étendit sur le lit où elle dormit tout l’après-midi et même toute la soirée. Quand la vieille pendule sonna minuit avec une minute d’avance, elle se leva et s’installa devant l’ordinateur. Elle mit pour la première fois les mitaines gothiques et glissa ses longues phalanges blanches, soulignées du X noir, sur le clavier. On aurait dit des petits serpenteaux qui couraient dans tous les sens sur le clavier dont les touches ressemblaient à cent douze osselets. Mais l’écrivain ne regardait pas ses mains. Elle plongea son regard avide dans la page blanche de l’écran. Caractère après caractère, un titre fit son apparition, suivi d’une histoire.
Autobiographie d’un fantôme
Je sens bien que je n’ai pas de corps.
Je crois que je n’existe pas.
Il existe des tas d’êtres qui n’existent pas. Je ne suis pas le seul. Lequel suis-je parmi un million ? Parmi un milliard ?
Un vampire ? Une licorne ? Un loup-garou ?
Je sais seulement que je ne suis sûrement pas un vampire car sinon j’aurais de ces longues canines affreuses. Oh, je préfèrerais ! Mais je n’ai pas de canines. Ni même de molaires. Même pas de dents de lait. Rien. Je suis édenté, étêté, équeuté, écœuré. La totale.
Si j’étais une sirène, j’aurais une superbe queue de poisson avec des écailles étincelantes. Si j’étais une fée, j’aurais des ailes de libellule. Si j’étais un loup-garou, je serai couvert de poils. Ne rêvons pas. Fée ! Sirène ! Loup-garou ! Un malheureux zombi vaut mieux que moi. Un zombi, ça a au moins un corps. Un corps décomposé, d’accord, mais un corps quand même. Un corps sans esprit, d’accord, mais… Je crois que j’ai compris. Si un zombi est un corps sans esprit, alors, je dois être le contraire d’un zombi. Un esprit sans corps. Un fantôme. »
Eva Almassy, Autobiographie d’un fantôme, Médium, L’École des loisirs, 2007, pp. 88-89.
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