Le 4 novembre 1924, le compositeur Gabriel Fauré, maître de la mélodie française, meurt d'une pneumonie à Paris dans sa quatre-vingtième année. L’État lui offre des funérailles nationales.
Né à Pamiers (Ariège) le 12 mai 1845, formé pendant onze années à l’École de musique classique et religieuse de Louis Niedermeyer, Gabriel Fauré, élève de Camille Saint-Saëns, professeur de Maurice Ravel et de Georges Enesco, « n'est pas seulement l' organiste titulaire des églises parisiennes les plus prestigieuses ». Il est aussi l’auteur de musiques de scènes (Pelléas et Mélisande, 1898), de tragédies et de drames lyriques (Prométhée, 1899-1900 ; Pénélope, 1907) et d’un divertissement inspiré de Verlaine (Masques et Bergamasques, 1919). Outre ces œuvres dédiées à la scène, Gabriel Fauré laisse de nombreuses pièces pour piano ainsi qu’une centaine de mélodies accompagnées, inspirées de Hugo, Sully Prudhomme, Gautier, Leconte de Lisle, Baudelaire, Verlaine. Parmi ces mélodies figure la plus célèbre d’entre elles : « Les Berceaux », d'après le poème « Le long du quai ». LES BERCEAUX Écrit par Sully Prudhomme (1839-1907), poète parnassien et premier prix Nobel de littérature (1901), le poème « Le long du quai » appartient au recueil de Stances et Poèmes (1865). Et fait partie (sous le titre « Les Berceaux ») du deuxième recueil de Vingt Mélodies de Fauré. Composée en 1879, éditée par Hamelle en 1881 et créée par la soprano Jane Huré et le compositeur, le 9 février 1882, à la Société Nationale de Musique, cette mélodie (op. 23 n° 1) en si bémol mineur pour une voix et accompagnement de piano est, avec « Automne » et « Le secret », une des trois mélodies dédiées par Fauré à la cantatrice Alice Boissonnet de la Touche (1857-1932), égérie de nombreux compositeurs. Dont Duparc et Gounod. « Les Berceaux », poème lyrique à dominante élégiaque, joue sur les balancements répartis selon un rythme 12/8. Bercement berceau/mer et expression contenue des regrets s’accordent en harmonie parfaite avec le « grand souffle » du poème. Le long du quai, les grands vaisseaux Que la houle incline en silence Ne prennent pas garde aux berceaux Que la main des femmes balance. Mais viendra le jour des adieux, Car il faut que les femmes pleurent, Et que les hommes curieux Tentent les horizons qui leurrent. Et ce jour-là, les grands vaisseaux Fuyant le port qui diminue, Sentent leur masse retenue Par l'âme des lointains berceaux. MÉLODIE FRANÇAISE ET LIED ALLEMAND Dans L’Obvie et l’Obtus, Essais critiques, III, Roland Barthes consacre quelques pages à la mélodie française. Voici ce que l’essayiste écrit dans le chapitre intitulé « La musique, la voix, la langue » : « Il nous manque, je crois, une sociologie historique de la mélodie française, de cette forme spécifique de musique qui s’est développée, en gros, de Gounod à Poulenc, mais dont les héros éponymes sont Fauré, Duparc et Debussy. Cette mélodie (le mot n’est pas bien bon) n’est pas exactement le versant français du lied allemand : par le romantisme, le lied, si cultivée que soit sa forme, participe d’un être allemand qui était à la fois populaire et national. L’écologie, si l’on peut dire, de la mélodie française est différente : son milieu de naissance, de formation et de consommation, n’est pas populaire, et il n’est national (français) que parce que les autres cultures ne s’en soucient pas ; ce milieu, c’est le salon bourgeois. Il serait facile, en raison de cette origine, de rejeter aujourd’hui la mélodie française, ou tout au moins de s’en désintéresser. Mais l’Histoire est complexe, dialectique, surtout si l’on passe au plan des valeurs : ce qu’avait bien vu Marx en détachant le « miracle grec » de l’archaïsme social de la Grèce, ou le réalisme balzacien des convictions théocratiques de Balzac. Il nous faut faire la même chose avec la mélodie française : chercher en quoi elle peut nous intéresser, en dépit de son origine. Voici pour ma part comment je définirai la mélodie française : c’est le champ (ou le chant) de célébration de la langue française cultivée. À l’époque où Panzera chante ces mélodies, cette célébration touche à sa fin : la langue française n’est plus une valeur ; elle entre en mutation (dont les caractères ne sont pas encore étudiés, ni même consciemment perçus) ; une nouvelle langue française naît aujourd’hui, non pas exactement sous l’action des classes populaires, mais sous celle d’une classe d’âge (les classes marginales sont devenues aujourd’hui des réalités politiques), les jeunes ; il y a , séparé de notre langue, un parler jeune dont l’expression musicale est le Pop. À l’époque de Panzéra, le rapport de la musique à l’ancienne langue française est dans son raffinement extrême, qui est son dernier raffinement. Une certaine langue française va mourir : c’est ce que nous entendons dans le chant de Panzéra : c’est le périssable qui brille dans ce chant, d’une façon déchirante… » Roland Barthes, L’Obvie et l’Obtus, Essais critiques, III, Éditions du Seuil, 1982, pp. 248-249. |
GABRIEL FAURÉ Pour écouter de nombreuses interprétations des « Berceaux », se rendre sur YouTube |
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Cet article est un enchantement, Gabriel Fauré qui est l'un des compositeurs inséparables de mon existence
et les Berceaux, mélodie sans pathos, poignante
quel plaisir que de retrouver ces interprétations entre lesquelles se détachent - pour moi - Souzay, Gens et Van Veen. Un cadeau du matin, Angèle, merci à votre équipe...
Rédigé par : Viviane | 05 novembre 2007 à 10:28
La mélodie: chant du cygne de la langue française raffinée!
Rédigé par : Didisha | 11 novembre 2007 à 23:30