Golfe de Porto, mardi 20 juillet 1909
- « Après, le vieux s’est arrêté à l’embranchement, comme il nous l’avait promis, et nous nous sommes séparés. Il a ôté son grand chapeau et il nous a serré la main. Nous avons regardé s’éloigner sa carriole. Il était gentil le babone. Ensuite, nous avons marché sous les eucalyptus jusqu’à Porto. Mais il était encore trop tôt pour s’enfermer dans une cantina. Alors nous sommes allées sur l’autre plage. Et là, nous avons croisé un drôle de bonhomme, un genre de colosse qui exhibait ses muscles sans retenue. Il avait des touffes de poils noirs partout sur les épaules et tout le long du dos. »
- « Comment vous le savez, il était tout nu ? », s’exclama Caroline.
- « Non, il n’était pas tout nu, mais il était torse nu, et il avait des muscles impressionnants ! »
- « C’était peut-être un homme de foire, un cracheur de feu », suggéra Caroline.
- « Peut-être mais il n’y avait pas la moindre trace de cirque dans les environs. »
- « C’était peut-être un prisonnier évadé, alors ? »
- « Plutôt un bandit corse ! Un bandit d’honneur ! Le vieux d’Ota nous a affirmé qu’il y en avait un qui rôdait en ce moment dans le maquis. »
- « Vous en avez de la chance, moi j’aurais bien aimé voir un bandit, un vrai ! »
- « Écoute, un peu de patience, tu en rencontreras peut-être un, qui sait ! »
- « Et alors, après, que s’est- il passé ? »
- « Après, il s’en est pris à nous. Il voulait nous régler notre compte. »
- « Mais pourquoi, qu’est-ce que vous lui avez fait ? »
- « Rien, enfin, presque rien. On riait de tous ces poils qu’il avait partout. On trouvait ça ridicule et laid ; et on n’en avait jamais vu autant, c’était quand même trop drôle ! Ça frisait par grosses touffes ! Et lui, il a compris qu’on se moquait de lui. Il s’est approché de nous, d’un air très menaçant. »
Valentine prend un air menaçant. Elle bombe la poitrine, se pavane en roulant des épaules. Le drap de bain a glissé sur ses bras, laissant entrevoir sa chair mordorée. Muriel renchérit en prenant une grosse voix :
- « Il y a quelque chose qui vous dérange ? » dit-elle en s’avançant vers Valentine.
Valentine se trémousse et hoquette que non, pas du tout ! Quelle idée ? Toutes trois éclatent d’un énorme rire sonore que vient interrompre la cloche du pont qui bat le rappel.
- « À table, » crie Noémie.
- « Et après ? » poursuit Caroline
- « Après, plus rien, Muriel et moi avons pris la poudre d’escampette, sans demander notre reste. Et c’est là que nous nous sommes réfugiées dans la cantina où vous nous avez trouvées. »
- « À table, à table, le poisson n’attend pas ! »
- « Qu’est-ce que c’est comme poisson ? » demande Caroline.
- « Du loup, du loup au fenouil. Tout frais pêché de ce matin et apporté par les pêcheurs de Porto, pendant que vous dormiez. »
SUITE, LE TOUR DE CORSE À LA VOILE, 24
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