Le
19 novembre 1941 naît à Aflou, en Algérie,
Leïla Sebbar.
Romancière et novelliste,
Leïla Sebbar est l'auteur de
Parle mon fils, parle à ta mère (Stock, 1984 ; rééd. Thierry Magnier, 2005),
Le Chinois vert d'Afrique (Stock, 1984 ; rééd. Eden, 2002),
La Jeune Fille au balcon (Seuil, 1996),
Une enfance algérienne (Gallimard, 1997),
Je ne parle pas la langue de mon père (Julliard, 2003),
Les Femmes au bain (Bleu autour, Collection D'un Lieu L'autre, 2006),
Mon cher fils (Éditions Elyzad, 2009).
Image, G.AdC
EXTRAIT
Cafés assis, cafés debout
  […] Je n'écris plus dans les cafés.
Si je m'assois, c'est pour un travail précis, par épisodes. Là où je peux aller à pied depuis la maison. Le Raspail Vert et le Sélect où se sont élaborées Mes Algéries en France avec Patrice Rötig. Images, photos, dessins, cartes postales coloniales... ordinateur portable, écran, jeux de maquettes, discussions. Trop de temps avec deux cafés chacun, le garçon enrageait sans paroles... Un jour de mars 2007, le ticket de caisse faisant foi, ses mots de haine parviennent jusqu'à mon chocolat noir (le meilleur de Paris): « Ils prennent le Sélect comme leur bureau, ils s'étalent, ils en mettent partout, ils restent une heure avec un café, on leur dit rien, ils dépensent moins qu’une place de cinéma… » La librairie Tschann (la meilleure de Paris) n’est pas loin du Sélect sur le boulevard Montparnasse et les ruches de l’école d’apiculture des jardins du Luxembourg sont là depuis toujours.
Je m’arrête à elles, après le Sélect et Tschann. Plus près de la maison, le Havane Café où se poursuit le travail, avec Patrice ou avec Rosie Pinhas-Delpuech, elle habite tout près. La patronne ressemble à Isabelle Huppert, une rousse, menue et autoritaire. Le Havane Café fait face à une maison de maître endommagée par les spéculateurs immobiliers, non loin, le journal Le Monde, son immense façade criblée de mots autour d’une mappemonde, je lis « Nuit profonde de l’esprit humain », « Mille langues confuses », « Le journal envolé », je pourrais m’asseoir sur le banc vert des SDF du quartier et lire, relire le vaste tableau écrit. Anna, une histoire française, le dernier livre de Rosie. On parle. On parle de l’exil, la mémoire, le passage d’une langue à l’autre, d’une religion à l’autre, des traces dérisoires que nous relevons, pour quelle transmission ? Ce qui nous fait écrire.
D’autres signes au café Les Éditeurs, je n’y vais pas à pied, le métro, autant que les cafés où je me poste en observation comme dans un phare, m’offre, depuis que je vis à Paris, les accents, les visages et les paysages du monde. J’ai écrit et publié des instantanés de Métro. Avec Fatiha Toumi on a longuement parlé de la rencontre dans sa bibliothèque à Lyon, le 27 avril 2007, portraits des pères, photos exposées et textes, les pères du Maghreb, les pères des filles « préférées », femmes du livre. Ils sont trente et un dans Mon père. Avec Kamila Sefta, ma cousine issue de germains, c’est l’Algérie, Ténès, la ville marine de mon père, la ville de Kamila (de Massaï Bey, aussi). Elle doit m’envoyer une lettre avec Ténès en personnage d’histoire et de roman (Vénus Koury-Ghata et ses Fiancés du Cap Ténès, j’ai parlé de cette légende dans plusieurs textes).
Encore un café, le Rostand, face aux jardins du Luxembourg. Je m’assois sous les palmiers ou les fresques murales coloniales avec Anne-Marie Dardigna-Lugan. Anne-Marie n’habite pas loin. On se place près de la cheminée, l’hiver, contre une fenêtre, l’été. Au mois de mars c’était Ségolène Royal. Anne-Marie voulait écrire un article sur la manière dont les médias et les politiques la traitent et maltraitent. Ce qu’elle écrirait aujourd’hui sur la presse féminine après son essai magistral Femmes sur papier glacé dans les années 1980 ?
Dernier café assis, le Fumoir, vers le Louvre. Je retrouve D. au fond, dans la bibliothèque, penché sur son portable. Des tables rondes, en ce début d’avril 2007, la Tunisie. Sfax, je marche dans la ville après la rencontre autour du livre À cinq mains (Éditions Elysad, Tunis). Une belle enseigne des cafés Ellouze, lettres arabes, lettres françaises, Grand Café de la Paix, une femme orientale habillée en maître d’hôtel occidental sert des cafés. Sousse, je lis :
Café La Joconde
Café Le Pacha
Café Les Amies
Tunis, dernière station pour les cinq mains, je lis :
Café Bagdad
Champs-Élysées café
Café de Paris
Café Jean-Jaurès
Café Vénus.
Les cafés de mon quartier. Cafés debout.
Leïla Sebbar, Cafés assis, cafés debout, in Bistrots, cafés et zincs, Siècle 21, n° 11, Automne-Hiver 2007, L’Esprit des Péninsules, pp. 162-163.
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