LUMIÈRE DOUCE DANS L’OR DU TEMPS
Aujourd’hui, grand beau temps. Après plusieurs jours de vent fou et de tempête, l’été est de retour. J’ai passé ma journée sous la treille. À travailler, dos au soleil. L’envie me prend soudain de laisser là mes feuillets, mes livres, mon écran et de descendre sous la maison. L'envie me prend de me dégourdir les jambes et de humer l’air. Lupinu somnole dans le jardin de la « stalla di Pinella ». Je l’appelle. Je le convie à me rejoindre et à m’accompagner dans mon escapade. Il se redresse, se secoue, s’étire. Il hésite, indécis, puis se lance sur mes pas.
Ensemble nous rejoignons les piani aux asphodèles. J’aspire les parfums du maquis et marche entre les cistes grillés. La beauté du lieu est à couper le souffle. Mais Lupinu, n’en a cure. Ses états d’âme filent à ras de terre. Un lézard, une sauterelle, un papillon, des gendarmes qui titubent tête-bêche sur une brindille, une colonne de fourmis en reconnaissance sur le sentier, c’est là ce qui le fascine. Il gambade, s’arrête brusquement, s’interroge. M’interroge. Jusqu’où allons-nous comme ça ? Les buissons se resserrent, nous enveloppent. Lupinu se faufile, rase la terre de son ventre. Je me fraye un passage entre les ronces, tant bien que mal. Le sentier a disparu, et les buissons m’enveloppent et me griffent. Nous ne serons bientôt plus visibles, noyés dans la jungle odoriférante qui m’agrippe. Lupinu furète, revient sur ses pas, renifle, creuse un trou pour y faire ses besoins. Je m’accroupis non loin de là, moi aussi. Il me regarde, surpris du jet qui creuse la terre devant moi. Nous reprenons notre marche, tranquilles et satisfaits l’un et l’autre. Lupinu court droit devant lui. Il doit avoir vu un lézard ou reniflé l’odeur d’un mulot, car soudain son corps s’enfle, ses pattes se tendent. Il prend des allures de chat angora dès qu’il avise le moindre danger. Le cou rentré dans les épaules, il se fige, poil hérissé, dru et fin. Parfois j’hésite. Je me demande en le regardant si c’est vraiment un chat ? Qu’est-ce qui me dit que ce n’est pas un gros rat, luisant et soyeux ? Qu’est-ce qui, dans son aspect extérieur, différencie le chat du rat ? À vrai dire, je n’en sais rien. Pendant ce temps, Lupinu me joue des tours. Il fait semblant de disparaître. Il reparaît un peu plus loin, allongé sur une pierre branlante. Il joue les odalisques et prend des poses langoureuses. Une patte nonchalamment abandonnée dans le vide, il veille et, tout en me narguant de son regard d’or, il réfléchit.
Que faisons-nous là ? Est-ce que je vais continuer longtemps à écrire ? Ça sent le souriceau dans le taillis. L’oreille dressée, l’œil aux aguets, il m’observe tout en hasardant un regard inquiet sur les alentours. Ses prunelles mouchetées d’étoiles, me fixent. Je ne me lasse pas de le regarder. Il est racé, intelligent et tendre. Soudain il s’élance et disparaît de ma vue. Je le laisse s’ébrouer à son aise. Il a trop dormi ces derniers jours. Je regarde autour de moi. Les camaïeux de bleus filtrent à travers les ramures d'oliviers et les chênes. Être assise là, dans ce coin de maquis, me paraît irréel. Enfants, nous passions ici des journées entières à élaborer des jeux de pistes. Aujourd’hui, je trouve incongru de me trouver là, entre ciel et terre, à des années-lumière du monde. Ai-je transformé cet espace jadis accessible au seul temps des grandes vacances, infiniment long et pourtant resserré, en un espace où le temps n’a plus d’importance ? Lupinu vient se frotter contre moi, en quête soudain d’une caresse rassurante. Lequel de nous deux est le plus inquiet ? Il fait sa toilette, une patte tendue derrière l’oreille. J’admire sa souplesse, souris de le voir s’acharner à nouveau sur une touffe de poils. Sans doute perçoit-il mon amusement. Il s’interrompt et lève ses yeux d’or sur moi. Pourquoi toujours ces feuillets, toujours ce crayon qui file sur la page en crissant comme une sauterelle ? Pourquoi mon humeur a-t-elle changé d’un seul coup ? J’étais plus souriante tout à l’heure ! C’est à n’y rien comprendre ! Est-ce que je ne pourrais pas plutôt m’intéresser à lui, lui prêter l’attention qu’il mérite ? Justement, c’est pour cette raison que je lui ai proposé cette course à travers les épineux, pour nous changer, lui, de la terrasse au tilleul, et moi, de ma treille. Mais à quoi bon, puisque le crayon court toujours et que les feuilles s’amoncèlent. À quoi bon, puisque je ne m’occupe pas de lui ?
Des voix soudain montent du rivage, portées par une brise légère. La mer luit sous le soleil. Il pleut une lumière douce qui coule le jour dans l’or du temps. Demain, j'irai prendre un grand bain.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Retour au répertoire de octobre 2007
Retour à l'index de la Catégorie Autofiction (clairs de terres)
Très beau, Angèle.
Rédigé par : Pascale Arguedas | 04 octobre 2007 à 19:32
Merci pour la promenade... Lupinu se traduit par "cor au pied" ou "lupin" (avec l'expression : parler autant qu'un champ de lupins). Lupin me fait aussi penser à un personnage romanesque du roman policier... Une intrusion masquée dans le monde poétique d'Anghjula?
Rédigé par : Jean-Paul Ceccaldi | 05 octobre 2007 à 11:53
Sans doute, Jean-Paul. Mais en réalité, Lupinu, c'est à la fois mon gentleman cambrioleur (tout noir, comme lui) et mon petit loubard du carrughju. Lupinellu tient pourtant davantage du dandy (il se croit un peu !) que du loulou à biscotos de la banlieue bastiaise. J'ai d'ailleurs beaucoup de mal à imaginer le quartier de Lupinu couvert de champs de lupins.
Mystérieux lupins de mon enfance ! Mon père en tenait toujours de pleins sachets dans ses tiroirs à tampons et crayons de couleur et ma mère disait à propos d'un fâcheux qui lui avait tenu des discours sans fin : "parlà quant'è un campu di lupini". Ce dicton est-il encore compréhensible aujourd'hui ou bien a-t-il subi lui aussi les affres de la mondialisation ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 06 octobre 2007 à 18:58
che bella passeggiata e che bello Lupino dagli occhi d'oro... i nostri piccoli amici sanno donarci gioco e devozione, vicinanza e amore incondizionato, rallegrando le nostre solitudini, calmando l'inquietudine che le attraversa...non so immaginare la mia vita senza il mio Chico, un tesoro inaspettato che la vita mi ha donato; i gatti sono angeli che accompagnano silenziosi i nostri passi, e li vegliano...
ciao cara amica, torno dopo a leggere tante belle cose
r.
Rédigé par : rita r. florit | 10 octobre 2007 à 14:19
Grazie della visita sul prato degli asfodeli, cara strega. E' giusto e bel, quel che dici a proposito dei gatti. Non ne sapevo quasi niente, dei gatti, prima di prendere Lupinu a casa. Adesso ho imparato tante cose con lui ed i suoi compari, anche su di me!
Mi ricordo bene del tuo bel Chico. Gli farei volentieri una nuova visita, un giorno o l'altro.
Un bacione per voi due nel frattempo.
Rédigé par : Angèle Paoli | 10 octobre 2007 à 22:16