Samedi 27 octobre, au Musée des Beaux-Arts de Lyon (Palais Saint-Pierre, 20, place des Terreaux), un hommage a été rendu à Frédéric Benrath. À l’occasion du vernissage de l’exposition d’un choix d’œuvres de l’artiste, récemment disparu. Exposition (Frédéric Benrath, 1930-2007, L'intense et l'espace) qui s’achèvera le 28 janvier 2008.
  Au cœur de cette exposition, un triptyque (Le Noir de l’étoile, 2004) de Frédéric Benrath acquis par donation par le musée. Triptyque autour duquel se sont rassemblés, ce samedi, tous ceux qui ont aimé l’homme et l’œuvre. Comme mon amie écrivain Sylvie Fabre G., qui m’a remis la « lettre de la traversée » que j'ai mise en ligne ci-dessous.
AP/Terres de femmes
au cœur de la beauté
Dans la teinture de la mémoire, Archipel d’éternité je vous écris. Vos couleurs maintiennent ouvert un territoire, un domaine sans appartenance, et pourtant don, où les mots rejoignent leur existence en trouvant votre peinture. On ne peut échapper au souffle qui nous blesse ou nous ravit, l’espace irréel de vos toiles y tient le corps comme à demeure et nous rend le vide libre.
Audace à se tenir immobiles et laisser la matière agir, le lac, l’herbe, le nuage ou la pierre sont nos racines mouvantes, nous habitons leur profondeur. Votre vœu, dans le tableau, est de fidélité et d’oubli.
Vous me montrez l’inconnu des formes, leur glissement. Sur vos toiles la nuit verse dans la nuit, la lumière dans son secret, le plein devient fluidité, l’être devance sa naissance. Bougé, le gris n’empêche nul éclat mais vérifie : il emprunte le chemin du noir, sa clairvoyance, pour que surgissent nuées légères les touches du temps.
L’obscur n’efface pas la clarté, m’avez-vous dit, elle est dessous comme un pays car le cœur a ses fenêtres, le regard sa nostalgie où boit le monde.
Brouillard de lune le soleil. Vous recevez son or humide, un peu de poussière dans les yeux, le pinceau est persévérant, il transforme l’eau en flamme, vous êtes à la merci des cendres, je suis à la merci des larmes, mains et regards ne font plus qu’un quand s’accomplit la traversée, Incipit tragoedia, qui gagnera de l’ombre ou de la lumière ? Source émeraude, sable des astres, ici, très loin : ce qui coule de vos doigts fait vibrer la solitude, désert lavé, sous les paupières.
Le voyage dans le tableau est dépouillement. Il étoile la présence. Dehors elle trouve sa révélation en un bord, dedans l’intensité de la couleur donne aux Diptyques ou Triptyques son tout. Inextinguible soif de voir, tension du geste dans l’accord.
Votre main de peintre cherche des jardins pour l’âme. Le sensible lui ouvre l’instant et vous allez à lui consciemment mais c’est inconsciemment qu’il déborde en émotion. La paix se rêve dans l’angoisse, poids de mort égale poids de vie. Votre peinture creuse double abîme, regardé et regardant, vous cherchez la délivrance en appuyant l’échelle au ciel. Dans le tableau, élan et chute, faille et fusion, est-ce par le vert azuré, l’orangé pourpre ou l’incessant jaune que vous soulignez la pure énigme d’exister ?
Il n’y a pas de réponse. Seule la ligne, fracture ou couture, nous rappelle le fonds unique : la force rouge des désirs suffisant aussi à l’amour, au vrai et à la beauté.
Diotima tait la douleur. Pourquoi se plaindre puisque l’absence se nourrit de la plénitude ? Caresse du divin qui incarne ou étreinte qui consume, peut-être avons-nous un nom pour l’union et un autre pour la séparation.
Diamants de l’inconnaissance, titres manquants, vous cherchez des équivalents, des résonances, espérant dans la couleur, moi je tourne autour de la langue et son silence pour saisir l’insaisissable. Reste l’appel qui croise les signes.
Vanité, Hebel habalim, l’avancée est un retour. Les ténèbres, le fleuve et l’argile partagent l’origine et la fin, la lumière a un au-delà. Unifier l’homme et l’univers, savoir les anciens sommeils, la mort et le sans mesure, sentir l’Esprit sont nos promesses mais elles restent inaccomplies. Vous explorez les zones d’insécurité, m’avez-vous dit, pour comprendre nos défaites. Elles sont marquées de griffures. À l’intérieur et sur l’écorce, nous souffrons du mal, de la folie et des peurs. Ils recouvrent nos terres d’ocre dur, argente nos gouffres par l’orage, leurs tourbillons galvanisent nos désespoirs. Leur violence nous écorche comme nous déchirent les crépuscules. Vous portez le geste qui sauve dans la couleur. Ma parole en délivre l’écho, entretien dans la montagne.
En ces Hautes solitudes brisons-nous l’ardoise de l’aube ? Immensité, le bleu se lève dans le rose, étendue mauve, noir incessant jusqu’à l’ultime réalité, le bleu-noir est ineffable bain de l’âme. Saturation, j’entre avec vous dans le repos de la vision, une clarté nue où aimer s’infinise.
Sylvie Fabre G.
Texte D.R. Sylvie Fabre G.
Retour au répertoire de octobre 2007
Heureusement que les Corses suivent les belles affaires lyonnaises pour nous... Dès que d'aplomb, j'irai faire un tour pour les Causeuses. Merci à la vigilance cap-corsine. A bientôt ! Mais soyez à Lyon le samedi 15 mars pour le Printemps des Poètes à la Médiathèque Marguerite Duras (toute neuve dans le 8°) autour de notre ami Charles Juliet. Sur le thème national de "l'autre", c'est avec joie que j'inclurai l'une de vos lettres d'ami(e)s dans le livre collectif qui paraîtra à cette occasion chez JA Editeur. A vos plumes, êtres insulaires !
Rédigé par : Mth P | 27 octobre 2007 à 00:27