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7 octobre.- J’ai souffert d’un violent mal de tête, qu’à tort ou à raison, j’attribue aux émotions de cette soirée et aussi à l’effort d’attention, d’accommodation que j’ai dû fournir. Toute la matinée, pourtant, je me suis ennuyé de Nadja, reproché de ne pas avoir pris rendez-vous avec elle aujourd’hui. Je suis mécontent de moi. Il me semble que je l’observe trop, comment faire autrement ? Comment me voit-elle, me juge-t-elle ? Il est impardonnable que je continue à la voir si je ne l’aime pas. Est-ce que je ne l’aime pas ? Je suis, tout en étant près d’elle, plus près des choses qui sont près d’elle. Dans l’état où elle est, elle va sûrement avoir besoin de moi, de façon ou d’autre, tout à coup. Quoi qu’elle me demande, le lui refuser serait odieux tant elle est pure, libre de tout lien terrestre, tant elle tient peu, mais merveilleusement à la vie. Elle tremblait hier, de froid peut-être. Si légèrement vêtue. Il serait impardonnable aussi que je ne la rassure pas sur la sorte d’intérêt que je lui porte, que je ne la persuade pas qu’elle ne saurait être pour moi un objet de curiosité, comment pourrait-elle croire, de caprice. Que faire ? Et me résoudre à attendre jusqu’à demain soir, c’est impossible. Que faire tantôt, si je ne la vois pas ? Et si je ne la voyais plus ? Je ne saurais plus. J’aurais donc mérité de ne plus savoir. Et cela ne se retrouverait jamais. Il peut y avoir de ces fausses annonciations, de ces grâces d’un jour, véritables casse-cou de l’âme, abîme, abîme où s’est rejeté l’oiseau splendidement triste de la divination. Que puis-je faire, sinon me rendre vers six heures au bar où nous nous sommes déjà rencontrés ? Aucune chance de l’y trouver, naturellement, à moins que… Mais « à moins que », n’est-ce pas là que réside la grande possibilité d’intervention de Nadja, très au-delà de la chance ? […]
André Breton, Nadja (édition entièrement revue par l’auteur en 1962-1963 ; première forme au printemps de 1928 ; Collection blanche N.R.F., achevé d’imprimer du 25 mai 1928), Œuvres complètes, I, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1988, page 701.
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