Image, G.AdC
Mat. du 5 oct. 18.
Ma petite âme la plus chère à mon cœur !
Pour toi ont commencé les journées de calme et de méditation - avec de riches possibilités de vivre une vie précieuse orientée vers soi-même - rassasié en son âme et esprit - goûter, reconnaissant, au bonheur laisse planer sur l’existence un certain calme et au fond cette activité intense. Souvent aujourd’hui - et ce jusque parmi les « intellectuels », on fait preuve d’une approximation singulière dans la perception des violences intérieures et des actes, des luttes et des expériences intellectuelles - on prêche alors dans la vie une attitude en apparence « active », davantage tournée vers l’extérieur - et à la philosophie on veut reprocher d’être étrangère à la vie et de s’en détourner. On mesure là les choses à l’aune d’un mauvais critère - que l’on ne doit en réalité pouvoir acquérir qu’à partir du déploiement de l’esprit depuis le plus intime de lui-même.
L’esprit touche celui qu’il doit toucher, et à partir de ceux qu’il a touchés une vague après l’autre se met en branle, impulsant un élan maintenant l’impulsion au sein de la multitude des indolents, des foules massives et des masses. Cette véhémence innée de l’esprit rend superflu tout ce qui, en tant que philosophie pratique de la vie, abuse du qualificatif de philosophie - Une fois que nous aurons de nouveau une confiance totale en l’esprit, nous parviendrons à être en état de faire renaître et prospérer une culture créatrice qui ne renvoie pas à elle-même. Mais jamais une artillerie culturelle, si lourde soit-elle, ne nous rapprochera d’un pas de la vie et de l’expérience immédiates. Quiconque entend, à l’avenir, « œuvrer » dans notre université doit en avoir pris conscience - ceux qui intuitivement, en sentant davantage les choses, sont parvenus le plus loin dans la compréhension de ces vues fondamentales, ce sont nos jeunes artistes -
Malheureusement, il me faut m’interrompre ici pour porter la lettre au courrier.
T’embrasse de tout cœur ton gamin.
Martin Heidegger, Ma chère petite âme, Lettres de Martin Heidegger à sa femme Elfride, 1915-1970, Éditions du Seuil, Collection L'ordre philosophique dirigée par Alain Badiou et Barbara Cassin, 2007, pp. 120-121. Lettres choisies, éditées et commentées par Gertrud Heidegger. Traduit de l'allemand par Marie-Ange Maillet.
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NOTE d’AP : ce volume publié ne comprend qu’un septième environ des quelque mille lettres et cartes écrites entre 1915 et 1970 (cent vingt-sept ont été conservées pour la seule année 1918). Mais ont été intégrées au livre l'ensemble des lettres de la période qui va de 1933 à 1938. Ceci, pour couper court à toute spéculation. Ce volume a paru originellement en 2005 sous le titre Meins liebes Seelchen ! [© Deutsche Verlags-Anstalt, München. Verlagsgruppe Random House GmbH).]
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