Carlo Goldoni (1707-1793)
Le 2 octobre 1952 est créée, au théâtre de la Fenice, à Venise, dans une mise en scène de Luchino Visconti, La Locandiera de Goldoni. Avec Rina Morelli dans le rôle titre de Mirandolina et Marcello Mastroianni dans celui du Chevalier de Ripagratta. Paolo Stoppa interprète le Marquis de Forlipopoli et Gianrico Tedeschi, le Comte d’Albafiorita. Giorgio De Lullo, le valet Fabrizio ; Rossella Falk, Ortensia et Flora Carabella, Dejanira.
La Locandiera fut pour la première fois à l’affiche en janvier 1753, au théâtre Sant’Angelo. À Venise, ville natale de Carlo Goldoni. Dans cette comédie en trois actes, Goldoni reprend le canevas traditionnel de la commedia dell’arte. Celui de la femme entourée de ses soupirants. L’action se déroule et se resserre dans la « locanda », petit hôtel garni. À la fois lieu de travail et lieu de rencontre. La « locanda » est tenue par la malicieuse Mirandolina. Dont les grâces et l’esprit enjoué suffisent à gagner le cœur de ceux qui logent chez elle.
La trame, d’une simplicité extrême, permet au dramaturge de broder à son aise. Et d’enrichir de toute son épaisseur psychologique et sociale, le rôle de l’éternelle soubrette. Dont la rouerie féminine, portée ici à sa perfection, met en péril la jalousie, la misogynie et la bizarrerie de ses galants. Les trois hommes s’affrontent dans d’interminables querelles. Auxquelles viennent s’enchevêtrer les complications dues à l’arrivée inopinée de deux femmes : Hortense et Déjanire. Mirandolina finit par accorder sa préférence au valet Fabrizio.
Peu représentée au XVIIIe siècle, c’est seulement au XIXe s. que la pièce acquiert sa notoriété. En 1890, Eleonora Duse porte le rôle de Mirandolina à son sommet, tandis qu’Adelaïde Ristori en fait une héroïne européenne. La mise en scène de Visconti pour le Théâtre des Nations (1956) sera, elle, contestée. Notamment par la critique française qui a reproché à Visconti de s’être laissé séduire par un réalisme excessif. Contraire à l’esprit de la pièce et à son « italianité ». Un réalisme qui, aux yeux de Roland Barthes, en fait précisément le prix, Goldoni n'étant pas un auteur de commedia dell'arte, mais annonçant fortement la comédie bourgeoise, les types caractériels du théâtre improvisé faisant place à des types sociaux. « Substitué justement à la rhétorique d’une italianité tout intemporelle, le Goldoni de Visconti nous concerne enfin. »*
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
* Note d'AP : voir à ce propos, Roland Barthes, « La Locandiera », Théâtre populaire, septembre 1956, in Écrits sur le théâtre, Editions du Seuil, Collection Points/Essais, 2002, pp. 196-198.
EXTRAIT
Atto III, Scena tredicesima
Camera con tre porte.
MIRANDOLINA (sola) : Oh meschina me! Sono nel brutto impegno! Se il Cavaliere mi arriva, sto fresca. Si è indiavolato maledettamente. Non vorrei che il diavolo lo tentasse di venir qui. Voglio chiudere questa porta. (Serra la porta da dove è venuta.) Ora principio quasi a pentirmi di quel che ho fatto. È vero che mi sono assai divertita nel farmi correr dietro a tal segno un superbo, un disprezzator delle donne; ma ora che il satiro è sulle furie, vedo in pericolo la mia riputazione e la mia vita medesima. Qui mi convien risolvere quelche cosa di grande. Son sola, non ho nessuno dal cuore che mi difenda. Non ci sarebbe altri che quel buon uomo di Fabrizio, che in tal caso mi potesse giovare. Gli prometterò di sposarlo... Ma... prometti, prometti, si stancherà di credermi... Sarebbe quasi meglio ch'io lo sposassi davvero. Finalmente con un tal matrimonio posso sperar di mettere al coperto il mio interesse e la mia reputazione, senza pregiudicare alla mia libertà.
Acte III, scène XIII
Une salle à trois portes.
MIRANDOLINE (seule) : Oh, pauvre de moi ! Me voici dans un beau pétrin ! Si le Chevalier me trouve ici, je suis fraîche ! Il est fou furieux ! Je ne voudrais pas que le diable lui inspirât de venir me chercher ici ! Je vais fermer cette porte. (Elle verrouille la porte par laquelle elle est entrée.) À présent, je commence presque à me repentir de ce que j’ai fait. Il est vrai que je me suis beaucoup divertie à faire marcher ainsi cet orgueilleux, ce contempteur des femmes, mais, maintenant qu’il est hors de lui, c’est ma réputation et ma vie même qui sont en danger ! Il s’agit maintenant pour moi de prendre une grande décision ! Je suis seule, je n’ai personne pour me défendre. Je ne vois guère que ce brave Fabrice qui puisse me servir en l’occurrence. Je vais lui promettre de l’épouser… Mais… j’ai promis, promis déjà : il va peut-être se fatiguer de me croire… Il vaudrait presque mieux que je l’épouse vraiment. Somme toute, par un tel mariage, je puis espérer assurer la défense de nos intérêts et de ma réputation sans préjudice pour ma liberté.
Carlo Goldoni, La Locandiera, in Théâtre, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, page 767. Textes traduits et annotés par Michel Arnaud.
Luchino Visconti au centre de la scène à la fin du spectacle
D.R. Source
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