Le 1er octobre 1932, la Nouvelle Revue Française (n° 229) publie le Manifeste du Théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud.
On ne peut continuer à prostituer l'idée de théâtre qui ne vaut que par une liaison magique, atroce, avec la réalité et avec le danger. Posée de la sorte, la question du théâtre doit réveiller l'attention générale, étant sous-entendu que le théâtre par son côté physique, et parce qu’il exige l'expression dans l'espace, la seule réelle en fait, permet aux moyens magiques de l'art et de la parole de s'exercer organiquement et dans leur entier, comme des exorcismes renouvelés. De tout ceci il ressort qu'on ne rendra pas au théâtre ses pouvoirs spécifiques d'action, avant de lui rendre son langage. C'est-à-dire qu'au lieu d'en revenir à des textes considérés comme définitifs et comme sacrés, il importe avant tout de rompre l'assujettissement du théâtre au texte, et de retrouver la notion d'une sorte de langage unique à mi-chemin entre le geste et la pensée. Ce langage, on ne peut le définir que par les possibilités de l'expression dynamique et dans l'espace opposées aux possibilités de l'expression par la parole dialoguée. Et ce que le théâtre peut encore arracher à la parole, ce sont ses possibilités d'expansion hors des mots, de développement dans l'espace, d'action dissociatrice et vibratoire sur la sensibilité. C'est ici qu'interviennent les intonations, la prononciation particulière d'un mot. C'est ici qu'intervient, en dehors du langage auditif des sons, le langage visuel des objets, des mouvements, des attitudes, des gestes, mais à condition qu'on prolonge leur sens, leur physionomie, leurs assemblages jusqu'aux signes, en faisant de ces signes une manière d'alphabet. Ayant pris conscience de ce langage dans l'espace, langages de sons, de cris, de lumières, d'onomatopées, le théâtre se doit de l'organiser en faisant avec les personnages et les objets de véritables hiéroglyphes, et en se servant de leur symbolisme et de leurs correspondances par rapport à tous les organes et sur tous les plans. Il s'agit donc pour le théâtre, de créer une métaphysique de la parole, du geste, de l'expression, en vue de l'arracher à son piétinement psychologique et humain. Mais tout ceci ne peut servir s'il n'y a derrière un tel effort une sorte de tentation métaphysique réelle, un appel à certaines idées inhabituelles, dont le destin est justement de ne pouvoir être limitées, ni même formellement dessinées. Ces idées qui touchent à la Création, au Devenir, au Chaos, et sont toutes d'ordre cosmique, fournissent une première notion d'un domaine dont le théâtre s'est totalement déshabitué. Elles peuvent créer une sorte d'équation passionnante entre l'Homme, la Société, la Nature et les Objets... Antonin Artaud, « Le théâtre de la cruauté », in Le Théâtre et son double, Œuvres complètes, IV, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1978, pp. 86-87. |
ANTONIN ARTAUD ■ Antonin Artaud sur Terres de femmes ▼ → 4 septembre 1896/Naissance d'Antonin Artaud → 18 juin 1933 | Lettre d’Anaïs Nin à Antonin Artaud Pour entendre la voix d'Antonin Artaud dans Pour en finir avec le jugement de Dieu (1947), se rendre sur : → sur Ubu web |
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LES CRIMES SONT ORGANISÉS
" C'est ainsi que les quelques rares bonnes volontés lucides qui ont eu à se débattre sur la terre se voient, à de certaines heures du jour ou de la nuit, au fond de certains états de cauchemar authentiques et réveillés, entourées de la formidable succion, de la formidable oppression tentaculaire d'une espèce de magie civique que l'on verra bientôt apparaître dans les mœurs à découvert. "
Introduction à « Van Gogh le suicidé de la société », février-mars 1947
- Nous y voilà, Antonin ! L'Ordre est à l'œuvre avec sa magie civique et sa bonne conscience planétaire. Ordre juste pour les uns, Ordre injuste pour les autres. Les corbeaux sont là, bien présents, comme sur la toile de Van Gogh, ils arment la main des sbires, des assassins, des tueurs à gages.
Oui, en face de cette unanime saleté, qui d'un côté a le sexe et de l'autre, d'ailleurs, la messe, aujourd'hui médiatique, les vrais voyants sont seuls à se dresser, afin de relever le défi, pour combattre cette malhonnêteté voulue, cette insigne tartufferie, de mépris crasseux de tout ce qui montre race… Antonin Artaud avait vu, bien avant les autres, que " ce n'est pas l'homme mais le monde qui est devenu un anormal ".
Gérard de Nerval ne s'est pas pendu tout seul la nuit du 25 janvier 1855. Artaud avait raison d'affirmer que toute la société, occultement liguée contre sa conscience fut à ce moment assez forte… pour le suicider.
- Rien n'a changé !
Antonin, si tu revenais, ils te traiteraient de fou et ils te mettraient à l'asile, ils verraient en toi un véritable danger à leur ordre, ils t'enfermeraient et te soigneraient comme avant à l'électrochoc et à l'insulinothérapie. À l'heure où la Deuxième Guerre mondiale battait son plein, tu étais à l'asile de Rodez, toi, le clairvoyant, toi, le supra lucide, à l'heure où régnait le grand chaos.
Non, ils ne reconnaissent pas autre chose que l'Ordre conformiste de leur société de contrôle. Et gare à celui qui aura le courage de lever la main ! Il n'a qu'à bien se tenir tout réfractaire à ce nouvel ordre planétaire. Qu'il sache que toute vérité révélée peut lui coûter la vie, que son sang coulera sur le trottoir dans l'indifférence généralisée, face à des foules apeurées et anesthésiées.
Bien des forces agressives sont activées pour le crime de celui qui aura osé dénoncer la lâcheté de l'humanité. Non, chères bonnes consciences, Artaud ne délirait pas et il voyait juste quand malade, il se disait " envoûté " par le Mal, même si cela ne peut empêcher de faire rire de nombreux crétins. C'est toute une armée de criminels qui, dans chaque pays, sont prêts à agir. Ils n'attendent qu'un signe pour passer à l'acte, au nom de la religion, de l'ordre moral et de la vertu.
L'Intelligence leur fait peur autant que le Diable. La haine est partout, elle fleurit sur l'ignorance et la misère, et la liste serait longue de ceux qui périrent sur les coups des tueurs sans visage au fil des siècles. Les clans maffieux gouvernent les pays et non que faire de la souffrance des pauvres et des sans-logis, malgré ce que quelques naïfs pourraient croire, la corruption n'a jamais autant prospéré dans ces sociétés dites de Contrôle où la corruption des oligarques atteint des sommets inconnus dans les siècles passés.
- Hors d'ici ! Dégage ! hurlent-ils ! A la tombe !
Quel avenir d'une rive à l'autre des générations ?
Une militarisation de la vie publique, un fichage complet des citoyens avec une identification à la clé, un contrôle toujours plus sophistiqué pour ceux qui entraveront la prospérité lucrative des oligarques. Ainsi, le nombre des prisons et des hôpitaux psychiatriques sera sans cesse en augmentation. Des " antennes d'urgence " pour la santé mentale seront ouvertes nuit et jour dans chaque quartier, afin de redresser les idées délirantes des citoyens dits - déviants. Des remèdes de cheval seront administrés de force, avec la bénédiction de la police urbaine structurée en brigades. La sécurité des citoyens fera l'objet d'une attention toute particulière, et donc, d'une surveillance accrue par moult moyens, une politique de la dénonciation pratiquée par le voisinage sera banalisée, voire encouragée, tout cela au nom du bien commun et de la Sainte sécurité de tous.
Si les citoyens ne s'opposent pas à cette société préfasciste...
Amicizia a voi tutti
Rédigé par : Serge Venturini | 03 octobre 2007 à 10:39