Le
15 octobre 1923 naît à Santiago de Las Vegas
Italo Calvino.
Image, G.AdC
Parmi les nombreux romans dont Italo Calvino est l’auteur figure en bonne place Les Villes invisibles (1972).
Les villes invisibles sont des villes qui ne figurent dans aucun atlas géographique. Au nombre de cinquante-cinq, elles sont répertoriées en sept séries de cinq encadrées de deux séries de dix, selon une thématique récurrente (les villes et la mémoire, les villes et le désir, les villes et les signes, les villes et les échanges, les villes et le regard, les villes et le nom, les villes et les morts, les villes et le ciel, mais aussi les villes « effilées », les villes « cachées » ou les villes « continues ») et sont l’une après l’autre décrites par Marco Polo à l’empereur Kubilaï Khan. Réparti en neuf chapitres selon une structure en spirale, le récit, accompagné de dialogues entre les deux hommes, symbolise en même temps qu’une vision du monde un projet d’écriture (poème en prose, apologue ou onirigramme).
Ph., G.AdC
Au cours d’une conférence donnée en 1985, Italo Calvino déclarait :
« Si Les Villes invisibles reste celui de mes livres où je crois avoir dit le plus de choses, c’est parce que j’ai pu concentrer en un unique symbole toutes mes réflexions, toutes mes expériences, toutes mes conjectures ; et parce que j’ai construit une structure à facettes où chaque court texte […] se trouve pris dans un réseau qui permet de tracer des parcours multiples et de tirer des conclusions ramifiées et plurielles. »
Les villes et le désir. 4.
Au centre de Foedora, métropole de pierre grise, il y a un palais de métal avec une boule de verre dans chaque salle. Si l'on regarde dans ces boules, on y voit chaque fois une ville bleue qui est la maquette d'une autre Foedora. Ce sont les formes que la ville aurait pu prendre, si, pour une raison ou pour une autre, elle n'était devenue la ville telle qu'aujourd'hui nous la voyons. À chaque époque il y eut quelqu'un pour, regardant Foedora comme elle était alors, imaginer comment en faire la ville idéale ; mais alors même qu'il en construisait en miniature la maquette, déjà Foedora n'était plus ce qu'elle était au début, et ce qui avait été, jusqu'à la veille, l'un de ses avenirs possibles, n'était plus désormais qu'un jouet dans une boule de verre. Foedora, à présent, avec ce palais des boules de verre, possède son musée : tous ses habitants le visitent, chacun y choisit la ville qui répond à ses désirs...
Italo Calvino, Les Villes invisibles, Éditions du Seuil, 1974, p. 41. Traduit de l'italien par Jean Thibaudeau.
Le città e il desiderio. 4.
Al centro di Fedora, metropoli di pietra grigia, sta un palazzo di metallo con una sfera di vetro in ogni stanza. Guardando dentro ogni sfera si vede una città azzurra che è il modello di un'altra Fedora. Sono le forme che la città avrebbe potuto prendere se non fosse, per una ragione o per l'altra, diventata come oggi la vediamo. In ogni epoca qualcuno, guardando Fedora qual era, aveva immaginato il modo di farne la città ideale, ma mentre costruiva il suo modello in miniatura già Fedora non era più la stessa di prima e quello che fino a ieri era stato un suo possibile futuro ormai era solo un giocattolo in una sfera di vetro. Fedora ha adesso nel palazzo delle sfere il suo museo: ogni abitante lo visita, sceglie la città che corrisponde ai suoi desideri…
Le Città invisibili, Einaudi, « Nuovi Coralli », 1984, p. 39.
Les villes « effilées ». 2.
Je dirai de la ville de Zénobie qu'elle a ceci d'admirable : bien que située sur un terrain sec, elle repose sur de très hauts pilotis, les maisons sont de bambou et de zinc, avec un grand nombre de galeries et balcons, elles sont placées à des hauteurs différentes, comme sur des échasses qui se défient entre elles, et reliées par des échelles et des passerelles, surmontées par des belvédères couverts de toits coniques, de tonneaux qui sont des réservoirs d'eau, de girouettes tournant au vent, et il en dépasse des poulies, des cannes à pêche et des grues…
Les Villes invisibles, p. 45.
Le Città sottili. 2.
Ora dirò della città di Zenobia che ha questo di mirabile: benché posta su terreno asciutto essa sorge su altissime palafitte, e le case sono di bambù e di zinco, con molti ballatoi e balconi, poste a diversa altezza, su trampoli che si scavalcano l'un l'altro, collegate da scale a pioli e marciapiedi pensili, sormontate da belvederi coperti da tettoie a cono, barili di serbatoi d'acqua, girandole marcavento, e ne sporgono carrucole, lenze e gru.
Le Città invisibili, p. 41.
Les villes et les regards. 1.
Les anciens construisirent Baldrade sur les rives d'un lac avec des maisons aux vérandas entassées les unes au-dessus des autres et des rues hautes dont les parapets à balustres dominent l'eau. De sorte qu'en arrivant le voyageur voit deux villes : l'une qui s'élève au-dessus du lac et l'autre, inversée, qui y est reflétée. Il n'existe ou n'arrive rien dans l'une des Valdrade que l'autre Valdrade ne répète, car la ville fut construite de telle manière qu'en tous ses points elle soit réfléchie par son miroir, et la Valdrade qui est en bas dans l'eau contient non seulement toutes les cannelures et tous les reliefs des façades qui se dressent au-dessus du lac mais encore l'intérieur des appartements avec les plafonds et planchers, la perspective des couloirs, les glaces des armoires.
Les Villes invisibles, p. 66.
Le città e gli occhi. 1.
Gli antichi costruirono Valdrada sulle rive di un lago con case tutte verande una sopra l'altra e vie alte che affacciano sull'acqua i parapetti a balaustra. Così il viaggiatore vede arrivando due città: una diritta sopra il lago e una riflessa capovolta. Non esiste o avviene cosa nell'una Valdrada che l'altra Valdrada non ripeta, perché la città fu costruita in modo che ogni suo punto fosse riflesso dal suo specchio, e la Valdrada giù nell'acqua contiene non solo tutte le scanalature e gli sbalzi delle facciate che s'elevano sopra il lago ma anche l'interno delle stanze con i soffitti e i pavimenti, la prospettiva dei corridoi, gli specchi degli armadi.
Le Città invisibili, p. 59.
Les villes « effilées ». 4.
La ville de Sophronia se compose de deux moitiés de ville. Dans l'une, il y a le grand-huit volant aux bosses brutales, le manège avec ses chaînes en rayons de soleil, la roue avec ses cages mobiles, le puits de la mort avec ses motocyclistes la tête en bas, la coupole du cirque avec la grappe de trapèzes qui pend en son milieu. L'autre moitié de la ville est en pierre, en marbre et en ciment, avec la banque, les usines, les palais, l'abattoir, l'école et tout le reste. L'une des moitiés de la ville est fixe, l'autre est provisoire, et quand le terme de sa halte est arrivé, ils la déclouent, la démontent et l'emportent pour la replanter sur les terrains vagues d'une autre moitié de ville. Ainsi chaque année survient le jour où les manœuvres enlèvent les frontons de marbre, descendent les murs de pierre, les pylônes de ciment, démontent le ministère, le monument, les docks, la raffinerie de pétrole, l'hôpital, les chargent sur des remorques, pour suivre de place en place l'itinéraire de chaque année. Ce qui demeure ici, c'est la demi-Sophronia de tirs à la cible et de manèges [...]
Les Villes invisibles, p. 77.
Le città sottili. 4.
La città di Sofronia si compone di due mezze città. In una c'è il grande ottovolante dalle ripide gobbe, la giostra con la raggera di catene, la ruota delle gabbie girevoli, il pozzo della morte coi motociclisti a testa in giù, la cupola del circo col grappolo dei trapezi che pende in mezzo. L'altra mezza città è di pietra e marmo e cemento, con la banca, gli opifici, i palazzi, il mattatoio, la scuola e tutto il resto. Una delle mezze città è fissa, l'altra è provvisoria e quando il tempo della sua sosta è finito la schiodano, la smontano e la portano via, per trapiantarla nei terreni vaghi di un'altra mezza città. Così ogni anno arriva il giorno in cui i manovali staccano i frantoni di marmo, calano i muri di pietra, i piloni di cemento, smontano il ministero, il monumento, i docks, la raffineria di petrolio, l'ospedale, li caricano sui rimorchi, per seguire di piazza in piazza l'itinerario di ogni anno. Qui resta la mezza Sofronia dei tirassegni e delle giostre [...]
Le Città invisibili, p. 69.
Les villes et les échanges. 5.
À Sméraldine, ville aquatique, un réseau de canaux et un réseau de rues se superposent et se recoupent. Pour aller d'un endroit à un autre, tu as toujours le choix entre le parcours terrestre et le parcours en barque : et comme à Sméraldine le chemin le plus court d'un point à un autre n'est pas une droite mais une ligne en zigzags ramifiée en variantes tortueuses, les voies qui s'offrent aux passants ne sont pas simplement deux, il y en a beaucoup, et elles augmentent encore si on fait alterner trajets en barque et passages à pieds secs. Ainsi l'ennui de parcourir chaque jour les mêmes rues est-il épargné aux habitants de Sméraldine.
Les Villes invisibles, p. 106.
Le città e gli scambi. 5.
A Smeraldina, città acquatica, un reticolo di canali e un reticolo di strade si sovrappongono e s'intersecano. Per andare da un posto a un altro hai sempre la scelta tra il percorso terrestre e quello in barca: e poiché la linea più breve tra due punti a Smeraldina non è una retta ma uno zigzag che si ramifica in tortuose varianti, le vie che s'aprono a ogni passante non sono soltanto due ma molte, e ancora aumentano per chi alterna traghetti in barca e trasbordi all'asciutto. Cosi la noia a percorrere ogni giorno le stesse strade è risparmiata agli abitanti di Smeraldina.
Le Città invisibili, p. 95.
Ph., G.AdC
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