Le 12 octobre 1896 naît à Gênes Eugenio Montale.
L’HYMNE DANS LA FANGE
Défini comme le poète de la vie déjà passée et qui toutefois perdure paradoxalement, « en-à-coups », en « lueurs », pour prendre conscience de sa propre « absence » ou pour se souvenir de certaines autres de ses manifestations supérieures, Montale se présente comme l’un des témoins les plus qualifiés des nouvelles formes de sensibilité venant caractériser ce courant de vie spirituelle qui entama son « descensus ad Inferos » vers la fin du XVIIIe siècle, avec la volonté de prendre à tout prix contact avec la réalité. Voici, pour rester dans le cadre de notre littérature, le monde de D’Annunzio, si dense de choses tangibles, se réveiller soudainement de son rêve euphorique, transfiguré et consumé par une lumière changeant tout en pierre, ou, mieux, en résidu, détritus, scorie : même si, afin de heurter les sens et l’esprit, celle-ci laisse la forêt des formes élimées sur pied. À ce stade, nous sommes obligés d’affirmer qu’une véritable « allergie » pour l’ensemble des faits « usés », pour le « reliquaire », la boue, le gravillon, les décombres apparaît dans la poésie de Montale : comme en vertu de l’institution inconsciente d’un rapport riche d’oppositions et de réactions entre l’entendement du poète et ces aspects particuliers de la réalité naturelle. Cependant, l’obsession pour ces objets plutôt que pour d’autres (même si la présence d’un paysage déterminé peut peser de tout son poids) révèle qu’ils témoignent, dans une forme sous-entendue et mieux à même de toucher le subconscient, de ce que l’esprit ne veut ni ne peut accepter, pour s’imposer néanmoins à lui comme vérité: l’actualité, de la pensée elle-même et du sentiment, dégradée par une impuissance congénitale finale digne de la pierre ; la vie, destinée en tous cas à périr, valable seulement comme passé, le présent comme règne des épluchures et des coquilles vides.
Andrea Zanzotto, Essais critiques, traduits et présentés par Philippe Di Meo, José Corti, 2006, pp. 133-134.
Ph., G.AdC
ON DIT MA POÉSIE…
On dit ma poésie
Poésie d’inappartenance.
Mais elle appartenait à quelqu’un : toi,
Toi qui n’es plus forme, mais essence.
On dit que la poésie à son sommet
Magnifie le Tout en fuite,
On nie que la tortue
Soit plus rapide que la foudre.
Toi seule savais que le mouvement
N’est pas différent de la stase,
Que le vide est le plein, qu’un ciel pur
Est le plus diffus des nuages.
Ainsi je comprends mieux ton long voyage,
Prisonnière des bandages et du plâtre.
Et pourtant ne me laisse pas en repos
L’idée que, seul ou à deux, nous ne sommes qu’une seule chose.
Eugenio Montale, Anthologie de la poésie italienne, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, pp. 1346-1347. Traduction de Patrice Dyerval Angelini.
DICONO CHE LA MIA POESIA...
Dicono che la mia
Sia una poesia d’inappartenenza.
Ma s’era tua era di qualcuno :
Di te che non sei più forma, ma essenza.
Dicono che la poesia al suo culmine
Magnifica il Tutto in fuga,
Negano che la testuggine
Sia più veloce del fulmine.
Tu sola sapevi che il moto
Non è diverso dalla stasi,
Che il vuoto è il pieno e il sereno
E’ la più diffusa delle nubi.
Cosi meglio intendo il tuo lungo viaggio
Imprigionata tra le bende e i gessi.
Eppure non mi dà riposo
Sapere che in uno o in due siamo una sola cosa.
Eugenio Montale, Xenia [1966] in La Bufera, Tutte le poesie, a cura di Giorgio Zampa, Milano, Mondadori, 1987, p. 302.
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