Ph., G.AdC
Couvent de Morsiglia, Cap-Corse, août 2007
CANNE-OPÉRA D’ÉBÈNE
Une étoupe dense monte et danse danse qui enveloppe de sa mousse douce villages et sentes accrochés à l'été finissant Effacées les traces des soirs meurtris chagrins et pleurs sourires vagues l'étoupe efface volutions lasses les fantaisies moirées de la canne-Opéra Silhouette effilée fugitive Reynaldo Hahn glisse mince sur fond de décor cinéma palace déchu de l'île princière murs lézardés passés figuiers lourds de fruits mûrs dorés sur épines Un méharé chemises au vent ondule sa danse libre sur la crête de mer une lourde flottaison de nuages noirs défile et s'accroche au tétin lumineux du mont l'haleine chaude brûle ma peau brûle le silence le temps va coeur battant qui court sa fuite sans remords
Lui abandonné à son rire tendre rauque et tendre derrière son halo de brume festive elle bercée par les involutions douces voluptueuses et douces et lui encore qui divague vague-d'abandon Reynaldo Hahn canne-Opéra d'ébène qui roule ensorcelle de ses notes ivres le décor cinéma du palais sicilien abandonné aux ruines infidèles enracinées dans les défis du temps glisse sur la haute face du couvent haut et vaste vaisseau de Morsiglia offert aux vents du large les effluves de feu courent caresses chaudes sur ma peau et j'attends j'attends le temps soufflant novembre aloès desséché ancré aux angles du couvent
Lui abandonné à ses délires-ébène canne-Opéra Reynaldo Hahn et lui encore attentif à l'attente désir brûlant qui court au bord des lèvres étoupe légère des bouffées chaudes aspirées de lui à lui de lui à moi de moi à lui encore Il rit et rêve de ce moment douceur tendresse rire furtif qui court de l'un à l'autre de lui à elle de lui à lui de elle à lui encore rires heureux sur fond de décor cinéma murs délabrés fenêtre basse ouverte sur les vignes de Morsiglia roulant déroulant leurs crêpelures claires sur la mer Une étoupe dense danse sur les vagues roule le temps galets changeants moirures vernissées de l'été finissant Vois le cormoran qui danse à la proue de la barque C'est un singe dit-elle un singe fou du bastingage qui joue des bras à l'avant de Nomade et non un cormoran blanc volutes de fumées douces odorantes et douces bienfait des bouffées chaudes volubiles légères sur leurs lèvres et chaudes le singe fou étire ses ailes bleues et s'envole blanc cormoran au-dessus des eaux Les vagues montent roulent et montent toujours plus haut à l'assaut du temps roulent leurs ondulations longues et sourdes une étoupe sombre absorbe noire la lumière âpre du plein été Les lucioles là-bas clignotent autrement ce soir la couleur de la nuit murs lézardés décrépis passés est autre odeur d'automne déjà froide ferveur de la lune pleine qui plane au-dessus des toits Nos rires arrimés aux larmes des étoiles.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Ph., G.AdC
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Je suis particulièrement heureuse que toi, mon amie d'enfance, que j'ai revue tout récemment sur la plage corse de nos rendez-vous, aies évoqué ce couvent de Morsiglia, qui se dresse sur la terre de mes ancêtres chère à mon coeur. C'est vrai, ce vaisseau-fantôme est propice à de nombreuses évocations et la silhouette fantomatique de Reynaldo Hahn telle que tu l'imagines y a sans doute sa place. Je pense aussi à mon arrière-grand-père, qui fut le dernier garde-champêtre de Morsiglia, et qui a sans doute foulé plus d'une fois le sol du couvent et ses alentours, à ma grand-mère et ses trois soeurs, à mon grand-père, petits enfants jouant à l'ombre de cet incroyable palais...
Merci de me faire rêver...
Amicizia
Christiane
Rédigé par : Christiane Laggi | 06 septembre 2007 à 17:18
Peut-être as-tu des histoires passionnantes à me raconter, Christiane, sur cet arrière grand-père, dernier garde-champêtre de Morsiglia. D'autres rêveries à partager, sur la plage ou sous le tilleul.
As-tu une idée sur l'étymologie de ce village? Je m'interroge et j'élucubre, mais je n'ai rien trouvé de sérieux pour le moment.
Basgi,
@ prestu,
Angèle
Rédigé par : Angèle Paoli | 07 septembre 2007 à 11:54
Etymologie de Morsiglia ? On peut gamberger... : Maures ? Référence à la confrérie des Saliens, comme à propos de Marseille ? Hum ! Mieux vaut suspendre ces hypothèses confuses sinon fumeuses... qu'on ne peut vérifier.
Il y a par contre des informations passionnantes sur l'histoire de Morsiglia (et de Centuri, mon village tout proche) sous la plume de Michel Vergé Franceschi, voir article :
"La Corse enjeu géostratégique en Méditerranée et les marins Cap Corsins"
lien :
http://cdlm.revues.org/document.html?id=859
Extraits :
" à partir de 1530, les Centurais et les habitants du village limitrophe de Morsiglia (...) se sont imposés en Méditerranée, à Marseille, Barcelone, Madrid et sur toutes les côtes du Maghreb, au point que Fernand Braudel -maître incontesté en la matière - a pu conclure qu'au XVIe siècle, "il n'y a point eu un événement méditerranéen auquel un Corse n'a point été mêlé". Dans la décennie 1530-1540, les Cap Corsins de Centuri et de Morsiglia affluent en effet à Marseille dans le sillage du premier des leurs, Tomasino Lenche (v.1510-1568), natif de Morsiglia. La plus grande place de Marseille porte aujourd'hui son nom : place Lenche. Tomasino fut tout à la fois. Marin d'abord, puis armateur afin de mener son propre négoce, puis riche négociant, donc armateur, pour transporter et écouler ses propres marchandises : des produits chers, venus d'Orient, d'Alexandrie notamment, des épices, des étoffes; et des produits recherchés sur les côtes du Maghreb, c'est-à-dire des produits finis : des armes françaises ou espagnoles (souvent en contrebande), de la poudre, des munitions.
Reconnu pour ses qualités par François 1er d'un côté et par les autorités musulmanes de l'autre, il s'imposa vite en Méditerranée comme un habile négociateur en matière de "rachat des captifs", permettant aux puissances chrétiennes de racheter des chrétiens pris par les chébecs et brigantins d'Alger, Tunis ou Tripoli ; mais permettant -aussi - aux puissances du Maghreb de racheter, elles aussi, des musulmans tombés aux mains des galères pontificales ou contraints de ramer au sein des chiourmes des galères de la Religion, c'est-à-dire des chevaliers de Rhodes, devenus, depuis peu, chevaliers de l'ordre de Malte, suite à leur récente installation en cette île (1522). Négociateur hors pair, Tomasino Lenche mérite la première place au panthéon des marins du Cap Corse. Formidablement enrichi par ses nombreuses activités, il épousa à Marseille en 1541 la fille du maître-calfat royal de l'arsenal du port, Hugone Napollon, et il entreprit alors, grâce à la protection dont il jouissait à Bône, de déposséder les Génois du monopole de la pêche au corail qu'ils détenaient alors à Tabarka."
C'est plaisant, Angèle, de citer de telles sources sur cette revue "cap-corsaire"- quoique pacifiquement littéraire - non ?
Amicizia
Nadine
Rédigé par : Nadine Manzagol | 08 septembre 2007 à 06:28
Plaisant en effet, Nadine, et génial aussi ! J'ignorais tout de ce Tomasino Lenche (Lenci ?) de Morsiglia et de ses fructueuses activités. Donc Morsiglia pourrait être étymologiquement lié à Marsiglia (Marseille). J'y avais pensé, bien sûr, mais je ne disposais d'aucun élément qui vienne conforter cette hypothèse. Merci à toi.
Rédigé par : Angèle Paoli | 09 septembre 2007 à 22:59
Si j'ai encore le fusil et la photo de mon arrière grand-père, en revanche je n'ai pas d'informations ni d'anecdotes à son sujet. Mais je ne désespère pas. Il faudra que je questionne mon fameux cousin qui est sur place et qui en sait peut-être un peu plus.. Je te tiendrai au courant.
Merci, Nadine, pour cette étymologie détaillée de Morsiglia. Je connaissais par mon père l'origine de la place de Lenche, dans le quartier du Panier à Marseille. Nadine, nous avons les mêmes origines : mes grands-parents étaient de Centuri (Cannelle et Ortinola). C'est plaisant de te retrouver sur TDF.
Je crois savoir, aussi, que le Dr Antomarchi qui assista Napoléon jusqu'à son dernier jour était de Morsiglia... vous avez dit, revue pacifiquement littéraire ??
Amicizia
Christiane
Rédigé par : Christiane Laggi | 11 septembre 2007 à 16:45
Angèle, Christiane,
Il y a maldonne ! Je n'ai pas apporté d'éclaircissements sur l'étymologie du nom de Morsiglia. D'abord parce qu'à ma connaissance elle n'est pas établie, et puis surtout parce que je ne veux pas abonder en un imaginaire des origines qui serait complaisant et alimenterait ce narcissime identitaire qui fait tant de ravages. J'ai préféré renvoyer ici à l'étude historique de Michel Vergé Franceschi dont j'apprécie la rigueur vers la recherche de la vérité.
En effet, je pense sincèrement que la littérature et la poésie ne doivent pas s'absoudre d'une volonté analytique dans cette recherche de vérité. Et vérités plurielles et complexes qu'il faut mettre en lumière et dont il convient de dégager les singularités de leur gangue inconsciente.
Je ne suis pas moi-même originaire de Centuri, qui est mon village d'adoption, mais de Bastia, et plus avant de Ghisoni, berceau de ma famille maternelle. Pourtant l'histoire tourmentée des Cap-Corsins dans leur environnement maritime m'est intimement familière.
Amicizia
Nadine
Rédigé par : Nadine Manzagol | 12 septembre 2007 à 06:47
A lire le dernier papier du Point sur la bétonnisation de la Corse (future Costa Brava), la montée en puissance des promoteurs immobiliers de tout crin, et la vente au plus offrant du patrimoine insulaire, je ne pense pas que le narcissisme insulaire soit aujourd'hui une valeur qui fasse fureur, du moins chez les élus de la Corse. Par ailleurs l'intérêt que l'on peut porter à la toponymie et à l'étymologie (sans "h" pour ne pas la confondre avec mythologie) fait aussi partie du travail de l'historien. Il est toutefois vrai, ma chère Nadine, que tu n'as pas stricto sensu donné l'étymologie de Morsiglia. Tu as ouvert les pistes d'un imaginaire. A chacun d'en faire son miel. Mais toutes les abeilles ne sont pas catégorisables en Alpha Plus ou Bêta moins. L'identité n'exclut pas la différence : Terres de femmes en apporte chaque jour la preuve.
Amicizia,
Yves
Rédigé par : Yves | 12 septembre 2007 à 09:15
Cher Yves,
Ton message est un peu sybillin. On peut s'insurger contre un PADDUC irrespectueux de la loi littorale et refuser pourtant la haine identitaire qui écrase et se soumet les différences, au point d'en vouloir distancier les excès par un jeu d'hétéronymes.
Les différences sont bien souvent minorées dans la réalité, car irréductibles et rebelles aux pouvoirs : femmes, étrangers, poésie qui s'exprime souvent dans les marges de la censure et de l'exclusion en désespoir de cause car non recevables, réfractaires même à l'ordre symbolique institué... Les utopies sont hélas souvent mortifères de ne s'accorder ni aux lieux ni aux temps de leur énonciation. Ce décalage, cet écart sont une étrange expérience. On dit, fort à propos, que nul n'est prophète en son pays.
Pourtant l'imaginaire et ses sublimations artistiques et littéraires ne nient pas la conscience politique, et l'exigence de vérité. Je crois donc que nous sommes d'accord sur le fond.
Amicizia
Nadine
Rédigé par : Nadine Manzagol | 13 septembre 2007 à 06:34