D.R. Ph.
ANNETTE MESSAGER MA JERÔME BOSCH AU FÉMININ
Pénétrer dans l'univers d'Annette Messager, c'est, pour moi, renouer, le temps d'une inspiration-expiration, avec le continent obsessionnel de l'enfance. Un continent englouti, recréé à partir d'objets rescapés du naufrage. Entre lumière et ombre, humour et cruauté, je tourne, je tourne, grisée, au rythme des pendus de la Ballade - La Ballade des Pendus 2002 - qui donnait le ton de l'exposition du Centre Georges-Pompidou (juin-septembre 2007). Envoûtement des formes et des mondes, je me laisse avaler par-dans le mystère hanté de noir d'Annette Messager. D'une caverne l'autre, je revis mes fantasmes de collectionneuse - minutieuse perverse - d'oiseaux morts et de souris, enterrés-déterrés, mes images sous verre, débris, bris de, bris de brides, mes poupées démembrées, mes peluches et mes chiffons, bouts de ficelle, pelotes de fils, crayons de couleur acérés et clous. Mes chauves-souris et leurs tracés, crottes d'ailes froissées, mes paysages inscrits dans les paysages du corps-labyrinthe, visages ophidiens et regards-serpents, lignes de la main et du pied, fées et lutins, bateaux échoués, écueils et sirènes, sorcières glissant sur un balai, fœtus enroulés dans le lobe de l'oreille, étoiles et soleils. Drôles et cruels, poétiques et tendres, les messagers grinçants d'Annette, messagère du Mysterie, sont aussi les miens.
Mer-Air. Poissons-plumes. Duvets virevoltants au bout d'un fil. Taches noires 2006. Hybrides menus silhouettes ondoyantes fines moustaches zoomorphes ondulant légères dans l'espace aérien du grand silence blanc.
Articulés-désarticulés. Peluches évidées, démembrées, démantibulées, défroquées, oripeaux de bêtes, corps séparés, écartelés, suspendus, désemparés, épinglés, traînés. Ballade des Pendus 2002. Condamnés à tournicoter, exténuantes contorsions d'automates déjantés. Poupées. Amoncelées empilées abandonnées. Éternelle immobilité.
Nuit. Mer. Respiration une mer de mollusques boudins boyaux géants s'enfle et se gonfle se dégonfle s'assoupit souffle de nulle part venu pneuma invisible qui épuise son rythme répétition à l'infini inspiration-expiration. Gonflé-dégonflé 2001. Mystère du souffle.
Collections. Moineaux empaillés, emmaillotés, « recyclés ». Les Pensionnaires 1971-1972. Photos grimées peluches poupées. Crayons clous chiffons, sacs plastique amoncelés détournés suspendus En observation 1998, fétiches et grigris, guenilles et oripeaux. Jouets. Marionnettes hissées sur des piques. Peluches évidées clouées au pilori, patinant sur des miroirs grimaçants. Chromos « épinals » du Bonheur illustré 1975-1976, théâtre d'ombres sur mur blanc, découpés-noirs, Mes caoutchoucs (Comédie-tragédie) 2002-2003, Mes vœux et Mes petites effigies 1988. Mes Jalousies, épinglées torturées. Chimères et Trophées. Indices et Approches, Anatomies 1996, En balance 1998, araignées rouges sur filets noirs. Dépendance-indépendance 1995-1996. Forêts de totems et de fils, cordes lacets filets emboitements de gants, de bras, de membres, d'images, de mots. Cousus. Échappés des Lignes de la main 1988-1990. Déclinés à l'infini. Solitude solitude solitude... confiance confiance confiance... crainte crainte crainte... tentation tentation tentation... jalousie jalousie jalousie... merci merci merci...
Nuit. Mer. Mer Rouge, une langue écarlate surgit se gonfle vent cramoisi qui s'engouffre par la porte haute, s'enfle souffle sa vague ample jusqu'à expiration de l'inodore rouge la toile se gonfle se soulève inspire expire expire s'enfle se soulève inspire s'affaiblit s'apaise des boursouflures blanches mollusques géants et tentacules se dessinent sous les plis de la toile puis disparaissent absorbés dans les aplats du sol la bâche flotte rouge feu des tâches de lumière se forment se défont disparaissent halos de phares sous-marins explorant le silence du souffle le rideau tombe cramoisi la gueule du monstre invisible siffle son haleine puissante inspiration expiration gonflé dégonflé des grands céphalopodes sous la bâche de sang une pluie de pantins soudain ombres chinoises masques et squelettes colliers de corail descend sur l'immensité habitée par la nuit rouge sang de la peur sœur de la solitude qui s'enfle et se gonfle à son tour jusqu'à explosion du rouge expiration inspiration magie de l'art qu'y a-t-il sous l'invisible la pluie de pantins regagne docilement ses cases mortuaires puis disparaît dans les profondeurs inaccessibles du plafond. Casino 2005. Lion d'or à la Biennale de Venise. Annette Messager, messagère en tératologie. Ma Jérôme Bosch au féminin.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
articulés-désarticulés, 2002, détails
Courtesy © Centre Pompidou clik infos
Adagp, Paris 2007, photo : André Morin
Source
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.