Image, G.AdC
[9 septembre 1767]
Vous ne faites rien du tout, tendre amie, de ce que je vous ai demandé. Je voulais un détail circonstancié de votre voyage ; vous me l'aviez promis ; et vous vous croyez quitte, en m'écrivant : Nous sommes arrivées à deux heures du matin à Châlons ; la belle dame a un peu dormi ; maman a été tourmentée de sa colique. Réparez ce laconisme-là s'il vous plaît.
Le jeudi matin, j'allai savoir de madame de Blacy à quelle heure vous étiez parties ; de là au Salon, où j'employai mon temps à louer un peu, à blâmer beaucoup, jusqu'à deux heures que je me rendis chez madame Legendre. Elle avait le cœur bien gros de vous savoir évadées, sans l'avoir prévenue, sans lui avoir dit adieu. On trouve, disait-elle, toujours bien un moment à travers les embarras et les soins d'un départ ; on l'aurait bien trouvé autrefois ; mais l'on ne m'aime plus. Je lui répondis qu'à neuf heures du soir, vous ne saviez pas encore si vous auriez des chevaux pour le lendemain ; et que rien n'était plus incertain que le moment de votre départ ; qu'il pouvait se faire à la minute, ou être différé de deux ou trois jours. Je lui ramenais madame de Blacy qu'elle avait invitée et qui s'en était excusée. Nous dînâmes, nous dînâmes gaiement ; nous passâmes tous ensemble une partie de la soirée ; M. Dijon y était ; et nous nous aperçûmes, madame de Blacy et moi, que le froid instituteur et la mère coquette faisaient bien du chemin, en s'en apercevant ou sans s'en apercevoir. Nous nous séparâmes de bonne heure ; parce qu'il fallait remettre à son couvent une amie de mademoiselle Legendre. Celle-ci est un joli enfant et qui a le cœur beaucoup plus tendre qu'on ne l'imagine. En arrivant, je la trouvai qui pleurait de ce qu'on différait trop à aller chercher son amie. Sa mère l'en grondait, et moi je lui en faisais compliment.
Le lendemain, c'était vendredi, autre séance aux tableaux où il y a quelques belles choses qui perdent à l'examen. Je sortis de là pour aller dîner au restaurant de la rue des Poulies. On y est bien, mais chèrement traité. L'hôtesse est vraiment une très belle créature. Beau visage ; plutôt grec que romain ; beaux yeux ; belle bouche ; ni trop ni trop peu d'embonpoint ; grande et belle taille ; démarche élégante et légère ; mais vilains bras et vilaines mains.
De là, j'allai passer la soirée chez Vanloo qu'on avait saigné du bras, et qu'on a depuis saigné du pied pour un mal de tête violent dont la cause est une dartre rentrée. Cette grosse bête de La Motte, son médecin, ne voit pas que, tant que la maladie cutanée ne reparaîtra pas, il tirerait son malade jusqu'à la dernière goutte du sang vicié, qu'il ne le guérirait pas.
J'allai souper rue Neuve-Saint-Augustin où nous parlâmes beaucoup de vous. C'est vraiment un amoureux de toute pièce. Il ne s'accommode point de l'absence. Il est triste, mélancolique, ennuyé et jaloux. Je l'amusai, avec ce sang-froid que j'ai quelquefois, à le désespérer, en mettant les choses au pis aller, en ne voyant aucun inconvénient à ce que M. d'Estein mît des conditions à l'avancement des deux frères de la belle dame, parce que chaque chose a son prix. Raupach nous joua une ou deux heures de la harpe et du clavecin, et nous nous souhaitâmes le bon soir à l'heure accoutumée [...]
... Mes amies, mes bonne amies, je suis le plus heureux de tous les hommes. Ma tête me dit que j'ai mille raisons de vous aimer ; et mon cœur ne l'en dédit pas. Puisse ce bonheur et ce concert durer toujours ! Mais il durera, si dix à douze ans d'expérience suffisent pour me garantir l'avenir. [...]
Diderot, Lettres à Sophie Volland, Éditions Gallimard, Collection folio, 1984, pp. 314-315-317.
Bellissime lettere. Una in particolare. Un orage, un homme et une femme. Des bruits, etc.
Rédigé par : alfred | 10 septembre 2007 à 21:25
je l'aime cet homme. L'écrivain aussi bien sûr, mais le bonhomme !
Rédigé par : brigetoun | 11 septembre 2007 à 16:13
28 octobre 1760
… Voilà des vents, une pluie, de la tempète, un murmure sourd qui font retentir sans cesse nos corridors, dont il est désespéré.
J’aime, moi, ces vents violents, cette pluie que j’entends frapper nos gouttières pendant la nuit ; cet orage qui agite avec fracas les arbres qui nous entourent ;…
(folio n° 1547, p. 148)
Rédigé par : alfred | 11 septembre 2007 à 22:59