Flaubert et Louise Colet Source [Croisset,] dimanche soir, 11 heures. [19 septembre 1852.] […] C’est sur toi que ma pensée revient quand j’ai fait le cercle de mes songeries ; je m’étends dessus comme un voyageur fatigué sur l’herbe de la prairie qui borde sa route. Quand je m’éveille, je pense à toi et ton image, dans le jour, apparaît de temps à autre entre les phrases que je cherche. Ô mon pauvre amour triste, reste-moi ! Je suis si vide ! Si j’ai beaucoup aimé, j’ai été peu aimé en revanche (quant aux femmes du moins) et tu es la seule qui me l’aies dit. Les autres, un moment, ont pu crier de volupté ou m’aimer en bonnes filles pendant un quart d’heure ou une nuit. Une nuit ! c’est bien long, je ne m’en rappelle guère. Eh bien, je déclare qu’elles ont eu tort ; je valais mieux que bien d’autres. Je leur en veux pour elles de n’en avoir pas profité ! Cet amour phraseur et emporté, la nacre de la joue, dont tu parles, et les bouillons de tendresse, comme eût dit Corneille, j’avais tout cela. Mais je serais devenu fou si quelqu’un eût ramassé ce pauvre trésor sans étiquette. C’est donc un bonheur : je serais maintenant stupide. Le soleil, le vent, la pluie en ont emporté quelque chose, beaucoup en est rentré sous terre, le reste t’appartient, va ; il est tout à toi, bien à toi. […] Adieu, mille tendresses, mille caresses. Nous nous reverrons à Mantes comme tu le désires. Je te baise partout. À toi. Ton GUSTAVE. Gustave Flaubert, « Lettre du 19 septembre 1852 » [extrait], Correspondance, Gallimard, Collection folio classique, 1998, p. 207. Choix et présentation de Bernard Masson. |
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un grand livre, absolument...
alfred
Rédigé par : alfred | 22 septembre 2007 à 20:58