Ph., G.AdC
CELA S’APPELLE L’AURORE
Faire de sa vie une œuvre d'art. Telle semble être l'une des questions récurrentes posées par Brina Svit dans son dernier roman, Coco Dias ou la Porte Dorée. Faire de sa vie une œuvre d'art : une exigence impérieuse qui pousse Agathe Abakovitc, 50 ans, historienne d'art, spécialiste de Manet, à quitter son mari, à se délester de sa collection de tableaux et à se dépouiller des visages qu'elle s'est fabriqués. Celui de Berthe Morisot, par exemple, à qui elle ressemble comme deux gouttes d'eau. Et à partir sur-le-champ à Buenos Aires pour changer de vie et y apprendre le tango. C'est aussi la décision que vient de prendre, subitement, Valérie Nolo, romancière et double fictionnel de Brina Svit. Du coup, Valérie abandonne Chef-d’œuvre, un roman en cours d'écriture, et Agathe, son héroïne. Et s’immerge, au lendemain de sa rencontre avec Coco - Coco Dias - dans les carnets qu'elle décide de consacrer au maestro. Lui qui a fait de sa vie un chef-d'œuvre. Grâce au tango.
Coco Dias ? « Un maestro de los maestros ».Valérie l'a rencontré à Paris. Porte Dorée. Et de la première danse date leur marché : « Toi, tu écris, et moi, je t'apprends à danser. » Une proposition que Valérie accepte mais entend bien suivre à sa guise. Et derrière elle, son double vivant, la romancière Brina Svit. Qui veut faire de sa vie une œuvre d'art et de son roman un chef-d'œuvre. « Que faut-il à une œuvre pour qu'elle devienne un chef-d'œuvre », s'interrogent tour à tour Agathe, Valérie Nolo et Brina Svit. C'est la question que se posent les romancières devant Les Ménines, chef-d'œuvre de Velázquez et sommet de l'histoire de l'art. C'est aussi la question que se pose le lecteur tout au long de la lecture de ce roman.
Pour faire de sa vie un chef-d'œuvre, Brina se lance dans le tango. Tout comme Valérie. Coco Dias, un « roman vrai » alors ? Un roman-miroir à deux faces : Valérie-Brina. « Oui, c'est ça » déclare Valérie-Brina. « Il faudra que je sois dans cette histoire, moi aussi. Moi, mes hommes, mon miroir dans l'entrée, mon vieux chat Robert. Même toi. C'est ça, toi. » « Un roman vrai », qui prend le rythme du tango et des milongas. Apprentissages, découvertes, rencontres, amours, voyages. De Paris à Buenos Aires, en taxi ou à vélo, les hauts lieux du tango défilent avec leurs codes, leurs ambiances, leurs spécificités, leurs aficionados. Et le nom de Valérie se décline en Val, Vali, Balérie, Bailarina selon « l'abrazo » qui l'enserre et le tangero qui l'enlace et l'emporte. « Je vais continuer à user ma vie et mon corps », se dit Valérie tout en s'habillant pour aller danser. Amour et sensualité de Brina. Deux maillons indispensables pour faire de sa vie un chef-d'œuvre.
Coco Dias ou La Porte Dorée, un roman à lectures multiples avec mises en abymes successives, écriture-peinture-tango. Tango-écriture-et-vie. À la fois histoire du tango et histoire vraie. Histoire de Coco Dias et de ses rivaux. Tito Morales, Dani el Flaco, les deux Jorge, Silvio Kantor, Bernardino, Alberto, Ruben. Et Ocho. Le fameux Ocho Cuarenta que Balérie brûle de rencontrer. Mais aussi Fabian, l'inoubliable, celui que l'on ne peut pas quitter. Mais également histoire de Brina Svit, écrivain en train d'écrire un roman. Et ballerina, linda ballerina, qui ne peut plus se passer du corps à corps qui la fait vivre. « Comment peut-on vivre sans avoir envie d'enlacer et d'être enlacé ? Comment peut-on faire sans ce dialogue muet entre un homme et une femme où personne n'a le dessus, où pendant trois minutes tout est possible ? »
Pourtant, la lectrice que je suis se dit qu'il manque un « quelque-chose » pour aboutir à un chef-d'œuvre. Il manque un « quelque-chose » aux tangos de Valérie. « Il a raison : je n'ai pas encore tout compris de cette danse. » Un « quelque-chose » aussi « sur le tableau ». « Il y a quelque chose qui ne va pas. Je ne sais pas encore quoi. » Peut-être dans le portrait de Coco Dias, encore « bien flou », encore enclos dans l’avant-texte (ou le pré-texte ?) ? Peut-être manque-t-il au roman cette part de lyrisme que l'auteur et son double rejettent délibérément pour mieux valider et avaliser leur projet ? Peut-être ce « roman vrai » est-il justement trop dans le vrai ? Trop dans le réel ? Et trop « minimaliste » ? Une chose est sûre, les taches de citrons jaunes dans les tableaux de Manet et les enlacements de feu qui embrasent l'héroïne ne suffisent pas à eux seuls à déclencher le rêve. Mais, par-dessus tout, ce qui manque et ce qui m’a manqué dans le dernier roman de Brina, c'est cette petite musique si particulière que je lui connais, cette tonalité décalée et mystérieuse en mode mineur qui vibrait dans ses romans antérieurs. Que lui auraient apporté – peut-être ? - « la page blanche », « la séparation », « le recul » et « la vie sans Coco Dias ». L'absence de blanc entre l'avant et l'après-Buenos Aires pourrait être en effet la cause du manque de mystère.
Reste la « dimension » d'un beau roman réussi où l'emporte la tendre leçon de douceur de Coco Dias. « Prends toute la douceur que tu as en toi et mets-la dans le tango que tu vas danser avec moi... Je vais prendre toute la douceur que j'ai en moi pour la mettre dans le tango que je vais danser avec toi. » Une douceur insolite qui coule sa rivière souterraine et fait monter « les larmes aux yeux ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Les libraires de Folies d'encre (Montreuil-sous-Bois, Saint-Ouen, Aulnay, Le Perreux, Les Lilas) sont heureux d’annoncer à Terres de femmes que le prix Folies d'encre 2007 sera décerné le 5 décembre à Brina Svit pour son roman Coco Dias ou la porte dorée
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Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 20 novembre 2007 à 23:31