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LETTRE DE VICTOR HUGO À ADÈLE
Arras, 13 août 1837, 6 heures du soir
[…] Hier matin, j’ai suivi en bateau à vapeur les bords de Somme d’Amiens à Abbeville. Au moment où je m’embarquais, le soleil se levait dans une brume épaisse au milieu de laquelle se détachait la silhouette immense de la cathédrale, sans aucun détail dans la masse, par le profil seulement. C’était superbe.
Rien de plus joli que les bords de la Somme. Ce n’est qu’arbres, prés, herbages, et villages charmants. Mes yeux ont pris là un bain de verdure. Rien de grand, rien de sévère ; mais une multitude de petits tableaux flamands qui se suivent et se ressemblent ; l’eau coulant à rase-bord entre les deux berges de roseaux et de fleurs, des îles exquises, la rivière gracieusement tordue au milieu d’elles, et partout de petites prairies heureuses à herbe épaisse avec de belles vaches pensives sur lesquelles un chaud rayon de soleil tombe entre les grands peupliers. De temps en temps on s’arrête aux écluses ; et, pendant que ce petit travail se fait, la machine à vapeur geint comme une bête fatiguée.
On côtoie ainsi Picquigny qui a un beau clocher et le grand château presque royal à façade de brique et de pierre qui appartient à M.de Boubers. Il y a aussi à droite en descendant, dans une île, des ruines qui m’ont paru remarquables, quoique ruinées un peu trop bas pour le voyageur qui passe en bateau derrière les hautes herbes. Ces herbes et ces roseaux, du reste, font un effet charmant. Quand le sillage du bateau vient les secouer en touchant le bord, elles se mettent à saluer les passants de la façon la plus gracieuse du monde et le plus empressée. J’ai revu Abbeville avec grand plaisir ; et à quatre heures je suis partie pour Doullens où j’arrivais à neuf heures du soir.
Une belle surprise pour qui ne connaît pas bien cette route c’est Saint-Riquier, merveilleuse abbaye du quinzième siècle, presque en ruine, qui vous apparaît tout à coup à trois lieues d’Abbeville. J’ai mis pied à terre, bien entendu, et j’ai passé une heure à tourner dans les nefs, autour des statues qui sont très nombreuses et la plupart admirables. Quelques-unes sont encore peintes de leur enluminure du seizième siècle. Dans la chapelle de la Vierge, il y a une Maris Stella sculptée en console que j’aurais voulu pouvoir dessiner. […] La Vierge dans une étoile, les autres astres à l’entour, le vaisseau brisé, la mer furieuse, le port dans le fond, tout cela est ravissant. […]
Victor Hugo, Récits et dessins de voyage, La Renaissance du Livre, 2002, pp. 32-35.
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NOTE d’AP : On peut lire d’autres extraits (choisis par Jean Estienne) de l’excursion qu’a faite Victor Hugo (aux côtés de Juliette Drouet) en Baie de Somme (d'Ault au Crotoy) dans Balade dans la Somme. Sur les pas des écrivains (pp. 47-49). Un ouvrage publié en 2003 par les éditions Alexandrines.
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Je vous conseille vivement de lire Choses vues (sur deux périodes : de 1830 à 1848 puis de 1849 à 1885), en Quarto chez Gallimard ou, moins onéreux, en deux tomes (Folio). Extraordinaire sur tous les plans : humain, politique, social, historique et, bien évidemment, littéraire.
Rédigé par : Pascale Arguedas | 14 août 2007 à 11:47
J'ai assisté à une lecture publique durant laquelle ces deux textes et d'autres encore ont été lus. Je vis en Picardie et j'ai un amour profond pour la Baie de Somme.
Rédigé par : Bellesahi | 20 septembre 2007 à 15:17
La Baie de Somme, Bellesahi, elle me manque parfois, me traverse dans mes rêveries et occupe mes pensées. Je revois nos balades à bicyclette, "par les champs et par les grèves". Et cette belle lumière, toujours changeante sur les eaux.
Je me souviens aussi des soirées théâtre. A Amiens, le plus souvent, mais parfois dans des villages perdus de la Picardie rurale oubliée, des lectures de bout du monde en plein hiver. La compagnie "Issue de secours", oui, bien sûr. Merci pour ces photos qui me renvoient à un passé encore vivant dans ma mémoire.
Rédigé par : Angèle Paoli | 20 septembre 2007 à 23:00