L’HOMME AU SABLE
Le nom de Christian Oster ne m’était pas totalement inconnu, sans que je sache vraiment pourquoi. Je n’avais rien lu de cet auteur. Où avais-je rencontré son nom ? Impossible de le dire. Pourtant, dès que Sur la dune est sorti en librairie, je l'ai acheté. Sur la dune est donc mon premier Christian Oster. Un roman que j’ai choisi pour la sobriété prometteuse du titre. Espace ouvert sur le mystère de l’attente. Et sur celui de la rencontre.
Sur la dune — celle de Saint-Girons-Plage sur la côte landaise —, soumises aux forces indifférentes des circonstances et du hasard, la rencontre et l’attente se dérobent, mouvantes toutes deux. Semblables en cela à la colline de sable au pied de laquelle se poste le narrateur, muni de pelles et convié par Catherine et Jean à désensabler avec eux leur maison. Mais rien de ce que Paul avait imaginé ou peut-être prévu ne se produit. Tout se défait progressivement, les amis et le sable, les événements et les êtres pour livrer l'accès à d'autres possibles. Peut-être.
Dans ce « Nouveau roman », tissé à la fois de réalisme et d'absurde, les personnages, comme privés d’épaisseur et de projets, se croisent et disparaissent, avant même d’avoir pris corps dans le récit qui les conduit à coexister un moment dans une même absence d'aventure. Ombres sans visages, les couples, silhouettes au bord de la rupture, passent et se délitent sur la brève trajectoire temporelle de Paul. Lui-même, privé de passé et d’avenir, de désirs tout autant que de projets sur lesquels construire sa vie, incapable de s’investir dans un choix plutôt que dans un autre, se laisse aller aux fluctuations imprévisibles du présent. Ni tout à fait indifférent à lui-même ni totalement étranger aux autres, Paul appartient à une espèce étrange, malléable comme le sable auquel il s'affronte un moment sans conviction, sable qui n'a aucune prise durable sur lui. Peu contrariant, mais soucieux avant tout de ne pas gêner ceux que le hasard met sur son chemin, Paul se perd progressivement dans des réflexions qui se brisent et se heurtent au détour des méandres et des collisions des différents types de discours sur lesquels se construisent ses permanentes indécisions. Sans cesse interrompues par des incises qui ponctuent les circonvolutions de ses réflexions, les pensées du narrateur, hachées et contradictoires, s'enchâssent les unes dans les autres, de part et d'autre de la ponctuation, selon les aléas du jour et les hésitations de Paul.
Peu à peu pourtant, un puzzle prend forme à partir de la rencontre avec Ingrid — épouse de Charles Dugain-Liedgester, — puis avec le décès brutal de Jean-Marc Vecten, que Paul ne connaissait pas. Quelques descriptions s'immiscent dans ce paysage humain du vide où domine le vertige de la solitude et de l'incommunicabilité. Les personnages, peu nombreux, prennent place ; progressivement les écarts s'amenuisent, la phrase se fait plus ample, l'écriture en creux s'élargit et se comble. La rencontre véritable va enfin devenir possible. Peut-être ! Jamais l'écriture d'un roman — dans lequel il ne se passe presque rien — ne m'a semblé en aussi parfaite adéquation avec l'évolution des personnages qui en sont l'embase, les porte-parole ou les détenteurs.
Métaphore acidulée de la vie d'aujourd'hui, faite d'enlisements successifs (comment ne pas penser au roman du japonais Abé Kôbô, La Femme des sables ?), Sur la dune dérange et irrite. Pourtant, peu à peu, le lecteur, sensible aux tergiversations de Paul, se laisse happer par l'étrangeté de ce roman de l'instable. Et se prend à rire du caractère insolite des situations, de la drôlerie des remarques que le narrateur se fait à lui-même. Mais il rit davantage encore des écarts et des collisions créés par le tressage serré des subjonctifs imparfaits et de l'insignifiance. Une insignifiance d’où naît la profondeur. Sur la dune ? Un savoureux récit pince-sans-rire. Une réelle et admirable performance du très talentueux Christian Oster.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
EXTRAIT
« Aussi bien, je pouvais me passer de lui. Simplement, il m'apparut vite que n'ayant pas de but, et le village se dérobant à moi comme un décor sans vie, bien que s'entendît par instants un claquement d'ailes — poule ou oiseau que je ne parvenais pas à surprendre —, et commençant à m'inquiéter de ma présence, à me demander ce que je dirais si je croisais quelqu'un, à rechercher la moindre raison qui justifiât que j'eusse l'apparence de ne rien faire ici qu'errer, sans qu'on pût même me créditer d'un égarement, je décidai de rentrer chez les Dugain, où Ingrid s'affairait près d'un massif.
Je me dirigeai vers elle, assez embarrassé, ignorant de quelle sorte de plante, à l'aide d'un sécateur, elle sectionnait les tiges. Il me fallait à l'évidence parler d'autre chose, ou bien la laisser et rentrer dans la maison, par exemple, ou encore faire un tour du terrain en affectant une liberté dont je ne disposais pas. J'hésitai, debout face à elle, cherchant un sujet extérieur à son occupation, cherchant également son regard derrière ses lunettes fumées, craignant maintenant que nous n'ayons rien à nous dire. Elle-même ne semblait pas disposée à me venir en aide. Elle ne paraissait pas non plus indifférente. Je pensai, un instant, qu'elle appréciait que je me tinsse ainsi là, auprès d'elle, silencieux comme deux heures plus tôt dans la cuisine, mais finalement elle me demanda si je m'ennuyais. Je lui dis que non, que je ne m'ennuyais pas, mais je ne savais pas quoi faire, ce qui n'était pas la même chose. Elle me demanda si elle pouvait m'aider et je lui répondis tout de suite que non, surtout pas, que je ne voulais absolument rien faire de spécial. Je cherche à vous approcher, finis-je tout de même par lui dire, mais je ne sais pas comment, je nous sens proches, déjà. Elle ôta ses lunettes, me dit qu'elle comprenait, que c'était ce qu'elle ressentait aussi, que c'était ce qui était bien, et ce n'est pas non plus à ce moment que je vis vraiment ses yeux. Je réfléchissais, plutôt, clignant parce que je me trouvais, moi, face au soleil. Oui, dis-je, et je n'étais pas satisfait, pas non plus insatisfait. Je fus soulagé d'entendre tinter au bout de sa chaîne la cloche du portail, c'était Dugain qui rentrait de sa promenade. »
Christian Oster, Sur la dune, Les Éditions de Minuit, 2007, pp.142-143-144.
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De Christian Oster, j'ai très récemment mis la main, par hasard, sur La Femme de ménage. Et j'y ai laissé mon coeur. Titre symbolique s'il en est, aux interprétations triples, au moins...
Moi aussi, j'ai été séduite, conquise, tout de suite, par le talent de l'auteur à faire paraître le narrateur léger, drôle et décalé, alors que le propos est tout autre, qui parle de solitude, d'incommunicabilité, d'incapacité à vivre... Après cette lecture, j'ai demandé à la bibliothèque de me trouver tous les titres disponibles de l'auteur, une découverte fortuite devenue un coup de coeur que je cultive...
Amitiés
Rédigé par : pascale | 23 juillet 2007 à 12:29
Noter aussi chez Ch. Oster, le thème récurrent de la poule.
Rédigé par : pascale | 23 juillet 2007 à 12:30
Merci, Pascale, de venir me conforter dans ce que je pressens de cet auteur que tu me donnes envie d'explorer davantage encore.
Amicizia.
Rédigé par : Angèle Paoli | 23 juillet 2007 à 22:07
Sur la dune est un excellent roman. Le style agace et résiste : c'est donc parfait (ça change de la daube).
Rédigé par : Nadège Vidal | 21 janvier 2009 à 19:11