Image, G.AdC
V
Topaia *, 28 juillet [1916]
Borgo San Lorenzo
La solitude et moi nous entendons bien, même quand, comme aujourd’hui, le ciel est plombé et que de la ferme à côté bougonne la « machine ».
J’ai beaucoup senti votre esprit ici, autour de moi, ces jours-ci.
J’ai regardé sur la vieille carte où se trouve Firenzuola. Au-dessus de Marradi.
Vivre quelque temps sous la tente - pourquoi pas ? Même si c’était un peu risqué. Je dois me protéger du froid et de l’humidité, après une attaque d’arthrite qui m’a saisie par traîtrise, voici deux ou trois ans. Je ne suis plus jeune, le saviez-vous ? Mais je suis encore bonne marcheuse - et ce coup d’œil aux Apennins, je le donnerais volontiers, avec vous. Quand je vous dis que je me ménage, je n’ai pas non plus l’intention de me préserver en vue de ma vieillesse… Mais la maladie me fait horreur, mon intégrité ne parvient même pas à accepter l’infirmité…
Bref, si je venais vous trouver là-haut, comment devrais-je m’équiper ?
En attendant, que diriez-vous de nous voir pour une journée à Marradi ? Si cela ne vous ennuie pas trop, si vous n’êtes pas trop loin. Je pourrais venir, mettons, mercredi ou jeudi **, par le premier train (8h55), à vous de me dire où vous m’attendrez. Je crois que nous nous reconnaîtrons facilement.
Vous me raconterez de vive voix quels autres tics il faut vous pardonner, outre ceux qu’il convient d’ignorer. Homme méfiant que vous êtes ! Si j’étais une prédicatrice, je vous dirais de m’imiter, car je n’ai jamais fait à personne, pas plus sur la terre qu’au ciel, l’honneur de l’appeler mon « ennemi ».
Est-ce aussi par méfiance postale que vous m’avez écrit en français ? Surtout, qu’il ne vous vienne pas à l’idée un autre jour d’en faire autant en anglais ou en allemand, car je ne les comprends pas, non plus que l’espagnol.
Votre pampa***, dites-moi, que le ciel y est donc haut !
Si nous nous retrouvons à Marradi, vous me donnerez votre livre et mes articles. Je suis contente que ces lignes consacrées à des souvenirs d’enfance vous aient plu. Aimez-moi.
Sibilla Aleramo
Je vous laisse fixer le jour, à votre guise.
Sibilla Aleramo/Dino Campana, Ce voyage nous l’appelions amour, Lettres 1916-1918, Anatolia, Éditions du Rocher, 2003, pp. 68-69. Edition et introduction de Bruna Conti. Traduit de l’italien par Béatrice Vierne.
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NOTES d'A.P.
* Sibilla Aleramo était en villégiature dans la Villa La Topaia de Marie et Julien Luchaire (1876-1958) — le fondateur (en 1907) de l'Institut Français de Florence —, qui avaient mis leur villa à sa disposition pour deux semaines. Cette villa existe toujours. Elle est à 3 km de Borgo San Lorenzo, dans le bas Mugello, entre Florence et les Apennins, aux confins de la Toscane et de la Romagne.
** Sibilla Aleramo et Dino Campana se retrouveront finalement le jeudi 3 août, et resteront ensemble jusque dans l'après-midi du dimanche 6 août 1916. Ce sera le début d'un « Viaggio d'amore » passionné et tourmenté.
*** Allusion au chapitre des Canti Orfici de Dino Campana.
Topaia, 28 juillet [1916]
Borgo San Lorenzo
La solitudine ed io siamo buone compagne, perfino quando, come oggi, c'è un cielo pesante, e nella fattoria accanto bufonchia la « macchina ».
Ho sentito molto il vostro spirito qui attorno, in questi giorni.
Ho guardato sulla vecchia carta dov'è Firenzuola. Più su di Marradi.
Vivere un poco sotto la tenda - perché no? Sebbene sarebbe rischioso. Devo guardarmi dal freddo e dall'umidità, dopo un attacco d'artrite che m'ha colta a tradimento, due o tre anni fa. Non sono più giovane, lo sapevate? Però ancora buona camminatrice - cotesta occhiata agli Apennini la darei volentieri, con voi. Quando vi dico che mi riguardo, non intendo mica conservarmi per la vecchiaia... Ma la malattia mi fa orrore, la mia santità non arriva fino ad accettar l'infermità...
Insomma, se venissi a trovarvi costassù come mi dovrei equipaggiare?
Vogliamo intanto vederci per un giorno a Marradi? Se non v'annoia troppo, se non siete troppo lontano. Io potrei venire, mettiamo, mercoledì o giovedì, col primo treno (8.55), e voi dirmi dove m'aspettereste. Credo che ci si riconoscerebbe facilmente.
Mi racconterete a voce quali altri tic bisogna perdonarvi, oltre a quelli che bisogna ignorare. Uomo diffidente! Se fossi una predicatrice, vi direi di imitarmi, che non ho mai fatto a nessuno, ne in terra ne in cielo, l'onore di chiamarlo mio « nemico ».
Ed è per diffidenza postale che m'avete scritto in francese? Non vi venga in mente qualche altro giorno di farlo in inglese o tedesco, che non capisco, né in spagnolo.
Quella vostra Pampa, che cielo alto! Se ci si incontra a Marradi, mi darete il vostro libro e i miei articoli. Sono contenta che vi sian piaciute quelle righe di ricordo sulla mia infanzia. Vogliatemi bene.
Sibilla Aleramo
Sibilla Aleramo/Dino Campana, Un viaggio chiamato amore. Lettere 1916-1918, Giangiacomo Feltrinelli Editore, 2000.
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