Ph., G.AdC
26 juillet 1857
AUX CHAMPS COMME AILLEURS...
Parthénias est dans le Midi, Amyntas est parti avant-hier pour son village, afin de mettre les ouvriers en besogne à sa villa. Il nous permet cependant d’y passer encore une bonne journée avant de leur céder la place.
Nous partons demain, Herminea et moi ; aujourd’hui, nous voyons la fête de notre hameau d’ici ; c’est sainte Anne qui en est la patronne et que l’on fête le dimanche ; car la moisson est commencée, et on ne pourrait se déranger dans la semaine.
Toutes les réjouissances de chez nous se bornent à danser, du matin au soir, la bourrée. La bourrée du Berry va se perdant sans qu’on y songe ; elle ne se danse plus que dans un assez petit rayon. J’ai bien peur qu’on ne se soit laissé entraîner à la contredanse dans notre village de là-bas. Je n’ai pas encore osé le demander.
La contredanse du paysan est absurde et grotesque. Sa valse est, comme rythme et comme allure, quelque chose de disloqué et d’incompréhensible. La bourrée est monotone, mais d’un vrai caractère. Pourtant il ne faut pas la voir folichonner par les artisans de petite ville; ils y sont aussi absurdes que le paysan à la contredanse.
Il y a aussi les beaux de village de la nouvelle école, qui y introduisent des contorsions prétentieuses et des airs impertinents tout à fait contraires à l’esprit de cette antique danse. La bourrée n’est elle-même que dans les jambes molles et les allures traînantes de ce qui nous reste des vrais paysans, les jeunes bouviers et les minces pastoures de nos plaines.
Ces naïfs personnages s’y amusent tranquillement en apparence ; mais l’acharnement qu’ils y portent prouve qu’ils y vont avec passion. Leur danse est souple, bien rythmée et très gracieuse dans sa simplicité. Les filles sont droites, sérieuses, avec les yeux invariablement fixés à terre. J’ai toujours vu les étrangers qui venaient à notre fête, très frappés de leur air modeste.
Notre assemblée est l’une des moins brillantes du pays. Il en a toujours été ainsi : c’est parce qu’elle tombe en moisson et que la jeunesse est éparpillée au loin en ce moment. Je doute que le cabaretier qui nous dresse une ramée y fasse de brillantes affaires. Bien qu’il offre aux consommateurs liqueurs, bière et café, nos paysans, qui ne sont guère friands de ces nouveautés, n’en usent que par genre, et préfèrent le vin du cru, qui se débite au pichet dans les cabarets de la localité.
Les ménétriers semblent fort occupés ; mais deux sonneurs de musette, c’est trop pour si peu de monde, et leur journée a été mauvaise.
Le vieux Doré se targue pourtant d’avoir des droits à la préférence des gens d’ici. Il a été assez habile dans son temps, et il a beaucoup gagné. Il était seul alors pour cinq ou six paroisses et faisait souvent des journées de dix écus. Mais il s’est négligé dans son art, et, quelquefois distrait dès le matin, il coupait tout le jour les jambes à son monde, en sortant plus que de raison du ton et de la mesure.
Et puis le cornemuseux croit que le souffle et le succès ne le trahiront jamais, tandis que l’un est aussi fugitif que l’autre. Il n’amasse guère : et, aux champs comme ailleurs, tout artiste veut mener la vie d’artiste. Bien qu’il travaille de ses bras dans la semaine, il n’est pas réputé bon ouvrier et ne trouve pas beaucoup d’ouvrage. Aux champs comme ailleurs, règne le préjugé du positiviste contre l’idéaliste…
George Sand, Promenades autour d’un village, Christian Pirot Éditeur, 2002, pp. 92-93.
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