Mardi 23 juillet
Pluie aujourd'hui. Encore et encore. Je me sens très faible et très vieux. Dans cette humidité, ma carcasse gonfle et travaille. Un jeune corps est une armoire neuve où l'on serre du linge blanc, qui sent bon; un corps vieilli n'est qu'un meuble vide et dont les jointures grincent. La moindre éclaircie — il y en a une par dizaine de jours — me déprime plus encore que la pluie. Revoir le soleil un instant, savoir qu'il est là, si près, capable en un clin d'œil de tout faire sourire, est une torture. Je préfèrerais l'oublier, comme dans le cercle polaire, où ils peuvent se mettre au lit pour six mois. Ici, on se sent au fond de l'hiver, on est prêt à s'y installer et voilà que le ciel, comme un satyre, en écartant l'étoffe grise qui le voile, vient découvrir sa verdeur. Dans ces moments-là, je désire plus violemment que jamais être arraché à cette reptation terrestre. Non pas mourir, au contraire : vivre en hauteur, à distance de cette corruption, plus haut que les nuages, comme un astre qui voit tout, qui jouit de tout mais ailleurs et toujours.
Pour écrire ces quelques lignes, j'ai dû me traîner jusqu'à mon bureau d'ébène, tout encombré de papiers. Si je continue à tousser, j'appellerai le médecin.
Grégoire est parti pour Rama hier soir, comme Benoît le lui a demandé. Il a emmené Efrem. Cela fait un grand vide, que je supporte encore plus mal que la pluie. Pourtant les choses semblent bien se présenter. J'ai confiance dans la parole de Hénoch ; la mission devrait durer. En attendant, ils s'y sont tous mis et j'ai la conviction que Grégoire ne va pas revenir de sitôt.
Jean-Christophe Rufin, Asmara et les causes perdues [1999], Éditions Gallimard, Collection Folio, 2001, pp. 211-212.
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Asmara et les causes perdues... intense et lointain souvenir de lecture... merci du rappel, bel extrait!
Rédigé par : Pascale | 24 juillet 2007 à 18:32