NAWALGHAR
Nawalghar Saïgon Nawalghar l'univers tangue introuvable en dehors de la page aveuglante saturée de blancheur. Mille pattes farfelues dansent dans l'éblouissement du vent mèches folles agitées dans le grain du papier superpositions de lumières une mygale de mer griffe les pages de Nawalghar. Derrière moi dans mon dos les rumeurs syncopées de la vague à gauche à droite pas les mêmes chuintements de cylindres déroulés à mes pieds nids d'algues chauds humides et chauds le clocher de Saint-Roch enroulé rose et pâle aux abords des marines s'arrime à l'assaut du ciel.
Le grand lit mousseux tulle douce danse voile protectrice à l'abri des moussons baldaquin bateau ivre où tanguent nos amours au-dehors la pluie bat son plein sur les palmiers manguiers secoués de gifles sombres broderies anglaises vert thé Sandy Gate Farm enlacé à Nurawa féerie cinghalaise le chat du Cheshire me poursuit de son rire vague énigmatique et vague.
Hanging-Rock veille là-haut noyé sous la coulée paille des châtaigniers odeur vaguement écœurante repoussée au-delà de l'humeur pénétrante des algues sous mes pieds nids humides chauds et humides l'ombre portée de mes ferveurs sur la page de Nawalghar mygale de mer pattes velues agitées de soubresauts indocilement sages est-ce le vent des globes qui drisse les filaos herbes séléniques de mes cheveux est-ce la vie qui bat son pleinement cosmique accord sans fin au-delà du désordre ordinaire des jours ?
J'aspire l'odeur d'algue molle pourrissante et molle qui gonfle sous les ongles ça bouge et tangue vagues roulantes dans mon dos résidus moites sous ma main glisse glisse mortelle mygale qui guide mon crayon sur la page chaude de Nawalghar l'écriture grise s'ensorcelle entrelacs de brisures d'algues – mordorées – sous le roulis des vagues longuement sourd le mugissement des pales et celui plus sonore d'une lame qui fend la surface à peine mouvante des eaux à peine une pluie de lumière surgit des profondeurs rideau de billes rondes et souples molécules molles souples et rondes mirage de lumière plus loin bulles irisées une nappe moirée miroite à l'aplomb du soleil yeux pers et vagues langoureuses suivrons-nous jusqu'au lointain des jours le long chevauchement corps nus des blanches amoureuses.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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"Est-ce que, par hasard, on m'aurait changée au cours de la nuit ? Réfléchissons : étais-je identique à moi-même lorsque je me suis levée ce matin ? Je crois bien me rappeler m'être sentie un peu différente de l'Alice d'hier. Mais, si je ne suis pas la même, il faut se demander alors qui je peux bien être ? Ah, c'est là le grand problème !"
Lewis Carroll, Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles, Aubier-Flammarion, page 97. Traduction de Henri Parisot.
Amicizia
Guidu___
Rédigé par : Guidu | 20 juin 2007 à 01:50
Magnifique dilution d'identité, entre écume et ressac.
C'est doux et chaud, merci.
Dom
Rédigé par : dom corrieras | 20 juin 2007 à 09:44
Il n’y a pas que dans les Keys que les îles jouent le rôle d'« intercepteurs ». Vert moite torride et luxuriante que cette plongée en apnée. Une touffeur d’écriture tropicale à la Tennessee. Bravo à toi.
Rédigé par : Yves | 20 juin 2007 à 17:17
Autre zone, autres géographies avec Tagore, et cependant ... « mirage » chère Angèle, « mirage de lumière plus loin bulles irisées [...] nappe moirée [qui] miroite à l'aplomb du soleil yeux pers et vagues langoureuses suivrons-nous jusqu'au lointain des jours le long chevauchement corps nus des blanches amoureuses. » que je retrouve ici aussi :
On the limpid waters of the lake of our youth
Blooms the lotus of love
On the limpid waters of the lake of youth.
What surging, what wild flood
Keeps it rocking, keeps it rocking
On the limpid waters of the lake of youth ?
[...]
Trembling with fear is my heart
Lest the fragile lotus be uprooted.
And this tender care brings
A mist of tears before my eyes
That softly dims the lotus rocking
On the limpid waters of the lake of our youth.
--
Ton jeune cœur est un lotus qui dort
Sur les eaux limpides d’un lac.
Ton jeune cœur est un lotus qui dort.
D’où donc provient ce tumulte soudain
Dans le lac tranquille
Où, comme un lotus, dort ton jeune cœur ?
[...]
J’ai peur que mon amour et mes pleurs
Ne troublent le lac
Où dort le lotus de ton cœur
Et que ne soit brisée sa tige
Par le tumulte des passions.
Ton cœur est un lotus qui dort.
Ton jeune cœur est un lotus, JOUBÖNÖ SHÖRÖSHI NIRÉ [poèmes chantés de Rabindranath Tagore, présentés, traduits et adaptés pour voix et piano par Alain Daniélou : édition trilingue, français, anglais, bengali], Paris éd. Michel de Maule, 2005, pp. 68-69 (et partition pp. 134-36).
Amicalement
Rédigé par : Déborah Heissler | 20 juin 2007 à 21:18
Merci à tous, qui honorez ce texte, chacun à votre manière. Tennessee Williams, je n'y avais pas songé, mais cela me touche et ranime des souvenirs auxquels je tiens beaucoup!
Merci à Déborah pour ce très beau poème de Tagore que je ne connaissais pas. Et qui doit être encore plus fort en bengali, avec ces retours d'expressions inattendus. Cela me rappelle la sextine, une forme poétique que j'aime beaucoup.
Rédigé par : Angèle Paoli | 21 juin 2007 à 22:30