LÉZARDS-MURR Reprendre la route où je l'ai laissée. Répondre à l'appel des parfums du dernier printemps, vérifier que l'espace d'ici est toujours le même. Qu'est-ce qui a changé depuis ma longue désertion ? Silence tiédeur à ras du sol, joue contre joue avec le soleil lumière calme diffuse douce. Il me semble avoir perdu le contact avec la terre ses secrets odeur de mousse sèche maintenant qui monte jusqu'à moi, spirales de langueur invisible. Il me semble que c'était avant mais je ne sais plus lequel. Où en suis-je ? de moi, de quel tissu tressée ? Les coquelicots sont fanés, les asphodèles réduites à des tiges sombres. Mon cœur mis à nu au-dessous des nuages, nu noyé dénoyauté. Les mauves s'accrochent aux talus, les nuages aux gerçures des montagnes. Et moi ? Mon regard erre le long des sentiers forestiers, monte jusqu'à la ligne de crête redessinée par les brumes. Une fourmi vagabonde sur les arêtes de mon écran. La passerelle Simone-de-Beauvoir entrecroise son double cerceau dans la lumière ascétique de ce matin de juin acier coupant du ciel sur la Seine à Bercy. Des filins longilignes courent félines beautés courbes. Quai de la Gare dans la fraîcheur, le cœur ample et empli de tant de bonheur. Arthur Rimbaud préside à mon incandescence. Est-ce toujours moi ? Est-ce la même celle que ses pas guident vers les Grands Moulins de Paris ? Les escaliers pyramides de la Grande Bibliothèque, Entrée Ouest René Char, tout à l'heure, un peu plus tard dans la matinée. La pierre à palabres tendrement effleurée par les volètements d'un papillon d'or. Les taffoni d'Hanging Rock cerclés dans la mobilité du ciel froissements d'ailes dans les feuilles, roulements de becs, piaillements clairs, voix flûtées, grésillements, tout un fruscio de frémissements invisibles. Et autres rumeurs absentes de tout nom. La passerelle de Bercy, passage d'un monde vers un inconnu accessible un autre jour, une autre fois. Quel ailleurs ? De l'autre côté de la Seine. Le temps me fauche en plein désir. Adam et Eve enlacés nus sur les murs blêmes des Grands Moulins de Paris. Un Cerbère monte la garde du Paradis. Je, nonchalante, passe, longe les palissades, pose un regard bienveillant sur le couple enlacé qui me tourne le dos sûr de la force de son destin. La fourmi noctambule erre sur l'écran blanc de mon travail. J'ai quitté la route pour le sentier des chèvres, crottes menues noyaux d'olives. La solitude solaire de la Mandorle ne me fait pas peur. J'y cache et roule mon amour. D'une semaine et puis d'un jour. Un scarabée pousse sa bosse parmi la bouse fraîche le rideau dru d'urine chaude vite asséché visages amis surgis des nuages croisés l'autre matin de frais soleil campanules fragiles corolles balancées sur leurs tiges un choucas plaintif perce le silence de son appel solitaire. Immobilité du temps imprenable dans le même espace cloudy cloudy les nuages gonflent leurs masses boursouflures alizées qui chevauchent l'espace immuable champ d'air illimité à l'abri du comptage des hommes le temps ne compte plus qui se dissout dans la lumière. Je vais à la rencontre de mes seules images caresses sans oubli rires solubles dans l'anse de l'étreinte soupirs de l'âme nourrie de gorges chaudes fleurs épicées des talus qui chatouillent lèvres et narines bouquet de mauves cueillies à la sauvette dans la chaleur dense de l'été assoupissement des sens Sieste blanche. Tant pis si le lyrisme n'a plus cours ! Je, dis-je, vois en lui l'essence même de toute poésie beauté de l'au-delà des formes pareil au glissement ténu des feuilles de chênes, éboulements minuscules de terre dérangée par la fuite d'un lézard d'or. Je me console de la mort à la caresse des fleurs tendres vibrations furtives, 4, pas plus. Un autre lézard court brindille de chair irisée sur la rocaille celui-ci plus dodu a perdu sa queue dans la bataille cet autre lézard Murr fuyant la mort dans une faille Andoar flétri par les vents se recroqueville sous sa branche un boa béant déroule ses éclisses le long du torrent sec. Je me sens - ni Lui ni Elle. Je n'écrirai pas autrement. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli |
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"Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure"
Apollinaire aussi ... et cette fameuse passerelle Simone-de-Beauvoir avec toi maintenant ... écrire avec son temps lol, chère Angèle.
Rédigé par : Alessandro | 08 juin 2007 à 11:43
Certo, si, cher Alessandro. Je me souviens de m'être rendue tout exprès au Pont Mirabeau et en avoir été très déçue. Fort heureusement pour moi, mes facultés d'oubli sont exceptionnelles et je ne garde vraiment en mémoire que ces très beaux vers d'Apollinaire que je me récite régulièrement à part moi, sans crainte de les perdre.
Rédigé par : Angèle Paoli | 08 juin 2007 à 12:58
Merci, très chère Angèle, pour votre clin d’œil félin à Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. Comme lui, il me semble, vous nous livrez, derrière vos allusions, un autoportrait à double et triple sens pour dire votre indicible je … celui qui se révèle dans vos siestes blanches probablement mauves… Du grand Art !
Amicizia
Guidu ____
Ps : pardonnez-moi, c'est que j’ai lu votre Lézards-Murr au singulier.
Rédigé par : Guidu | 08 juin 2007 à 21:28
« Qui, mieux qu’un lézard amoureux,
Peut dire les secrets terrestres ? »
René Char, Complainte du lézard amoureux, in La Sieste blanche, Les Matinaux, Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, page 294.
=> Miró, Llanto del lagarto enamorado, 1948.
Rédigé par : Yves | 08 juin 2007 à 22:06
Bella prova Angèle ; assaporato la tua prosa, anche se non tutto comprensibile per me, trop longtemps loin du français. Ce que j’ai aimé par-dessus tout :
"Répondre à l'appel des parfums du dernier printemps, vérifier que l'espace d'ici est toujours le même
soleil lumière calme diffuse douce
Le temps me fauche en plein désir
Immobilité du temps imprenable dans le même espace
l'espace immuable champ d'air illimité à l'abri du comptage des hommes le temps ne compte plus qui se dissout dans la lumière."
Rédigé par : alfred | 12 juin 2007 à 20:17
=> Guidu : Et en illustration de couverture du Chat Murr de Hoffmann, Caspar David Friedrich !
Et, pour aller plus loin, ce court extrait des Mémoires du chat Murr :
" Mais il y eut une autre difficulté dans la manière de plonger la plume dans l'encrier. Je ne parvenais point à protéger ma patte qui trempait toujours dans l'encre, et mes premiers traits d'écriture, tracés avec la patte autant qu'avec la plume, ne manquèrent pas d'être un peu épais. Des gens mal informés pourraient ainsi voir dans mes manuscrits du papier taché d'encre. Mais les génies devineront sans peine le matou génial dans ses premières oeuvres; ils s'étonneront, que dis-je! ils perdront leur sang-froid devant la profondeur, la plénitude de l'esprit, lorsqu'ils verront les premiers jaillissements d'une source féconde. Afin qu'un jour le monde n'aille pas se disputer sur la chronologie de mes immortels ouvrages, je dirai ici que j'écrivis d'abord le roman philosophico-didactico-sentimental intitulé: Pensée et pressentiment ou chat et chien."
Hoffmann, Le Chat Murr, traduit de l'allemand par Albert Béguin, Editions Gallimard, 1943. Cité dans Le Goût des chats, Mercure de France, p. 66.
Rédigé par : Angèle Paoli | 12 juin 2007 à 22:58
Mannequins de Paris___
de
Leonard Cohen
Les mannequins se changeaient
pour une autre photo.
J'ai vu le sexe de l'une
et les seins d'une autre.
On colla un ballon
au doigt d'une femme
et on mit en route
la soufflerie.
Les robes devinrent vivantes
et des accidents resplendissants
de cheveux et d'ombres
encadrèrent leurs visages solennels.
Le miracle du ballon
qui grignotait le bout d'un doigt,
pendant que la tempête
emportait leurs corps,
était très convaincant.
Puis on apporta le repas chinois,
et les mannequins s'attroupèrent
enroulés dans des serviettes,
et portant des assiettes en carton.
Chacun était heureux
que la magie de la féminité
ait de nouveau marché.
Elles pouvaient se reposer un peu
sur la grande vague,
sur la crête même
de la confiance et de l'aisance.
J'étais heureux moi aussi.
Je me sentais privilégié
d'avoir assisté à une cérémonie
généralement réservée aux professionnels.
Paris, 1987
Amizia
Guidu___
Rédigé par : Guidu | 12 septembre 2007 à 16:39