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« PASQUALE DE’ PAOLI.
LA CORSE AU CŒUR DE L'EUROPE DES LUMIÈRES »
Quel regard porter aujourd’hui sur Pascal Paoli (1725-1807), « Père de la Patrie corse » et général de la Nation ? Comment le mythe Pascal Paoli a-t-il évolué au cours des ans et selon quelles fluctuations des mouvements d'idées ou culturels dominants ? Telles sont les questions qui viennent à l’esprit dès les premiers abords de l’exposition que le Musée de la Corse de Corte consacre actuellement à l’Homme des Lumières que fut Pascal Paoli *, plus souvent célébré, il est vrai, dans les pays anglo-saxons, que dans la France continentale : « Pasquale de' Paoli. La Corse au cœur de l’Europe des Lumières ».
DE PASCAL PAOLI À ANDY WARHOL
Comment re-considérer la figure révolutionnaire du grand patriote corse que fut Pascal Paoli ? Entré de son vivant dans l'univers du mythe, le personnage de Pascal Paoli ne peut plus être regardé aujourd’hui au travers des seuls prismes du romantisme ou du rationalisme. En Corse, son image n’échappe pas au consumérisme de masse qui sévit à notre époque. Autour de l'effigie du patriote et de sa figure protéiforme se déploient sur l'île toute une panoplie de concepts bien « markettés » et toute une armada d’objets de pacotille. Depuis les miniatures du paquebot éponyme au nom d'« u Babbu di a patria », en passant par les étiquettes des flacons de vin, les cartes téléphoniques et les tee-shirts culturels. Sans oublier les bustes en faux bronze et les plaques urbaines, à Corte ou à Bastia. Pascal Paoli, génie méconnu de nombre de continentaux, pourrait bien se décliner, un jour ou l’autre, façon Andy Warhol, au MoMA, à New York ! Une suggestion inattendue (voire iconoclaste ?) de mon webmestre, accueillie d'ailleurs favorablement par Luigi Mascilli Migliorini, commissaire de l’exposition et professeur d’histoire moderne à l’Université de Naples L’Orientale.
Ph. Angèle Paoli
CARTOGRAPHIER LA CORSE
À l’heure de la commémoration du bicentenaire de la mort de Pascal Paoli, le Musée de la Corse offre pourtant au public une rétrospective historique de belle envergure. Conçue en deux temps et selon deux espaces distincts, l’exposition « Pasquale de' Paoli. La Corse au cœur de l’Europe des Lumières » présente tout d’abord dans une salle connexe, une riche collection de cartes anciennes, provenant du fonds cartographique du musée : « Cartographier la Corse au temps de Pasquale de’ Paoli. Les cartes et l’histoire – 1755-1807 ».
Ordonnancée par Madame Dominique Gresle-Pouligny, commissaire d’exposition et professeur à l’EHESS, la collection cartographique couvre la première moitié du XVIIIe siècle. Période où géopolitique et géographie se conjuguent, période également de grande innovation scientifique dans le domaine de la cartographie. Cinq séquences structurent cette partie de l’exposition : La Corse et la France. Le travail de Jacques-Nicolas Bellin (ingénieur de la marine). La Corse et Gênes. La Corse et l’Angleterre. La cartographie politique.
L'enjeu de cette partie de l'exposition est de replacer la Corse au centre de l'histoire de ses relations avec la Méditerranée et avec l'Europe. Au-delà des considérations géo-stratégiques mises en évidence par l'ensemble des cartes, ce qui frappe le visiteur profane, c'est aussi le caractère esthétique de certaines de ces cartes, ornées de cartouches à motifs symboliques ou guerriers. Un ensemble remarquable, « fleuron » du Musée de la Corse de Corte.
Ph. Angèle Paoli
« L’APPROBATION DE MON PROPRE CŒUR ME SUFFIT » (Pascal Paoli)
La seconde partie de l'exposition est focalisée sur Pascal Paoli lui-même et sur l'environnement géopolitique de son temps. L’organisation muséographique en a été confiée à Luigi Mascilli Migliorini et à l’historien Antoine-Marie Graziani, président du conseil scientifique. Documents écrits et articles d'une grande variété permettent, par-delà la diversité des portraits de Pascal Paoli, de lui restituer son véritable visage d'homme sensible et d'Homme des Lumières.
Formé dès son plus jeune âge à la pensée classique — Virgile et Tite-Live, Machiavel et Galilée — par le philosophe Antonio Genovesi et son aréopage napolitain, Pascal Paoli devient par la suite un adepte fervent et convaincu de la pensée de Montesquieu. L'Esprit des Lois, publié en 1748, a joué un rôle décisif dans l'élaboration, en 1764, de la nouvelle constitution qu'attend la Corse, après celle de 1755.
C'est d'ailleurs à partir de 1764, période où les troupes françaises occupent l'île et que le ressentiment des Corses à l’égard des occupants commence à se faire sentir, qu'émerge la figure de Pascal Paoli, popularisée par les récits et propos de James Boswell
(1740-1795). L'écrivain écossais, futur biographe de Samuel Johnson (1791), relate dans son Journal de voyage en Corse ** (1765) sa rencontre avec Pasquale de' Paoli. Et contribue par ses écrits à révéler la vraie personnalité du général corse. En attestent les propos suivants : |
Ph. Angèle Paoli
« Depuis le premier instant où j'avais commencé ce voyage, je consignais par écrit chaque soir ce que j'avais observé pendant le courant de la journée, jetant sur le papier une infinité de choses, afin de pouvoir ensuite faire ma sélection à loisir.
Parmi tous ces détails, les plus précieux pour le lecteur, tout autant que pour moi-même, furent à coup sûr les souvenirs et les remarquables déclarations de Paoli, que je suis fier de rapporter.
Me parlant de la guerre en Corse : « Monsieur, dit-il, si les choses tournent bien, on nous baptisera grands défenseurs de la liberté. Dans le cas contraire, nous ne serons que d'infortunés rebelles. »
[...] Je lui demandai comment il était possible d'avoir comme lui une âme si supérieure à l'intérêt : « Elle ne l'est point, dit-il; mon intérêt est de laisser un nom. Or je sais pertinemment que qui œuvre pour le bien de son pays y parvient et je m'attends à durer. Pourtant, si je pouvais rendre ce peuple heureux, j'accepterais volontiers d'être oublié. Je possède un orgueil indicible (una superbia indicibile). L'approbation de mon propre cœur me suffit. »**
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Sir William Beechey (1753-1839)
Portrait de Pascal Paoli, v. 1810
Huile sur toile, 77 x 59 cm
Collection particulière
© Collection particulière/Cliché Philippe Jambert
LES FACES CACHÉES DE PASCAL PAOLI EN 120 PORTRAITS
Cent-vingt représentations jalonnent le parcours de l'exposition, offrant de Pascal Paoli des portraits d'une grande diversité. Depuis le pastel réalisé en 1769 par Suzanne Caron (dessinateur) au moment de la rencontre d'Amsterdam jusqu'au portrait posthume de 1810 réalisé par le peintre Sir William Beechey (1753-1839), en passant par la toile du miniaturiste Richard Cosway (1742-1821) ou par le tableau de la bataille de Ponte Novu par Henry Benbridge (1743-1812), les artistes déclinent à l’envi leur vision personnelle de Pascal Paoli.
Vision romantique pour Sir William Beechey qui représente Pascal Paoli au cours de son second exil à Londres (1795-1807) avec toutes les caractéristiques d’un chef d'État sérieux et méditatif à l'orée de sa mort. Une stature que Pascal Paoli avait acquise dès son premier exil (1769-1790), où il s’était étroitement lié aux milieux francs-maçons et aux cercles mondains de la société londonienne, et avait fréquenté les intellectuels et artistes les plus brillants de la capitale britannique : le peintre Joshua Reynolds, le poète Samuel Johnson ou le philosophe Edmund Burke.
Quant à la toile de Cosway, elle est l’occasion d’évoquer une des faces peu connues de Pascal Paoli. Celle de l’homme éperdument et exclusivement amoureux de Maria Cosway. Le seul véritable amour (platonique) qu’on lui connaisse à ce jour.
UN DE CES HOMMES QU’ON NE TROUVE PLUS QUE DANS LES VIES DE PLUTARQUE
Réalisée avec talent par l'équipe du musée de Corte, l'exposition « Pasquale de' Paoli. La Corse au cœur de l'Europe des Lumières » retrace avec clarté l'itinéraire complexe et mouvementé de Pascal Paoli, également confronté aux archaïsmes de la Méditerranée et à la modernité de l'Europe des Lumières qu’il a contribué à décentrer vers le Sud. Une exposition qui permet de découvrir, outre le personnage emblématique de la patrie, l'homme Pascal Paoli dans toute sa richesse humaine et intellectuelle. Héritier d’une longue tradition familiale de lutte contre Gênes, disciple de Montesquieu davantage que de Rousseau, fin politique, conscient de ses responsabilités et du rôle fondateur qu'il a eu à jouer pour l'avenir de la Corse, Pascal Paoli est de ces hommes que, pour paraphraser le Cardinal de Retz, « on ne trouve plus que dans les Vies de Plutarque ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
* Pascal Paoli se fait appeler Pasquale de' Paoli en signe d'appartenance à la famille des Paoli, originaire de la Stretta, communauté de Morosaglia (Haute-Corse).
** James Boswell, En défense des valeureux Corses [An Account of Corsica. The Journal of a Tour to that Island and Memoirs of Pascal Paoli], Anatolia, Éditions du Rocher, 2002, pp. 257-258.
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« Pasquale de' Paoli (1725-1807).
La Corse au cœur de l’Europe des Lumières »
Jusqu'au 29 décembre 2007.
Museu di a Corsica
(Musée de la Corse)
La Citadelle
20250 CORTE
Renseignements :
tél. : +33 (0)4 95 45 25 45
Fax : +33(0)4 95 45 25 36
Dossier de presse (en pdf)
Catalogue (éd. Albiana)
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