éditions Cheyne, 2005.
Lecture d’Angèle Paoli
Ph., G.AdC
« SUBVERSION D'ENCRE »
Laisser monter à soi les variations musicales de Déborah
Laisser courir, puis germer en « soulèvement », les signes abandonnés aux plis des poèmes, faire chanter la partition – « monodies dépouillées » et « fragments pour délier les doigts » - de Déborah Heissler. L'enfance n'est pas loin, nourrie « d’étreintes matinales » et de comptines, d'images foudroyantes et de souvenirs. « Filament de tungstène » et « choses infantes » jalonnent un parcours hors temps et hors espace, pris « entre ciel et fruit », « à la naissance du vent ». Et l’on sait, à voyager dedans la page, « près d'eux, la nuit sous la neige » ou plus loin, parmi les « figures simples » - « fleurs peintes, clair /oiseaux, neige et fruits » - qu’il faut laisser couler le regard, d’une borne miliaire à l’autre, par glissements furtifs, de reprises en refrains, pour qu’advienne l’échange, à la croisée des signes. « On a touché à quelque chose ». « Comme la foudre frappe », un lieu qu’il faut « abandonner contre le jour avant la nuit ». La mort est là, elle aussi, des « dernières neiges » à « la dernière sonate », de Roland de Lassus à Schubert. « On a touché à quelque chose » /« La terre comme un trou de mémoire / a touché quelque chose de si froid ». Entre itinérance et exils se sont tissées des rencontres. Mystérieuses rencontres de « Frères silencieux », d’« hommes perdus » et de « fuyards sous la neige ». Jusqu’à l’ultime rencontre, « figure d’étrangère/d’exilée peut-être bien ».
« Je vais passe rêve » murmure à plusieurs reprises la voyageuse. Peu soucieuse d’assurer la « conjonction des choses et des rêves », la semeuse de mots – « subversion d’encre » – procède par flexions de sèmes ou par transformations minuscules, infimes - enfante, infinie, infante, enfantinement – qui entraînent vers d’autres maillages. Insaisissables – insaisies – « vêpres de cuivres vertes ». D’un tesson de mosaïque à l’autre, de chromatismes en inversions, les poèmes qui naissent sur la page et y demeurent tout entiers enclos, s’évadent vers les horizons de « l’échange », « sans limite, ni fin ». « Et lors/on ne distingue plus ni lointain ni proche ».
Malgré tout, des obstacles surgissent, qui viennent buter « contre le jour sans force » et confisquer la phrase de l’exilée. Mais « la tisserande » a tôt fait de réveiller « sous le buisson/l’herbe des ruisseaux » et de faire ressurgir sur la toile du peintre les « objets oubliés ». Il suffit d’un « geste d’épaule nue ». « On a touché à quelque chose ». « Presque rien ».
« Comme un regard qui erre
à la surface de l’eau ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
DÉBORAH HEISSLER Image, G.AdC ■ Déborah Heissler sur Terres de femmes ▼ → Les Nuits et les Jours (lecture d’AP) → Je ne peux oublier (poème extrait des Nuits et des Jours) → « Des pas dans la neige » (poème extrait de Sorrowful Songs) → Sorrowful Songs (note de lecture d’AP) → La protection des pierres (poème extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige) → sur l’herbe sèche ce jour (poème extrait de Chiaroscuro) → (dans l'anthologie poétique Terres de femmes) loin (poème extrait de Comme un morceau de Nuit, découpé dans son étoffe) → (dans la galerie Visages de femmes) le poème « Errance » → Ô ter abcède de Martin Ziegler (chronique de Déborah Heissler) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Déborah Heissler |
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Parmentières, mesquinières, mulquinières, tisseuses d'images.
"Mulquinier" est un mot merveilleux, perdu et retrouvé.
Mulquinier d'images, - tel est le poète ! (Au féminin comme au masculin)
N'est-ce pas Angèle ?
Amicizia
Rédigé par : Serge Venturini | 04 juin 2007 à 05:13
Ton texte, Angèle, est une aimantation de lectures : lectures d'écriture. Ecritures de l'écart, vibrations sonores ; danses mellifères tressées au frimas des ténèbres. Si bien qu'absente de tout bouquet en sa page nocturne, la fleur du texte-poème vient éclore en constellations nomades, en multitudes dispersées : un rien germinatif d'éphémères où résonnent les cymbales enchevêtrées de la nuit.
"Ecrire...
L'encrier, cristal comme une conscience, avec sa goutte, au fond, de ténèbres relatives à ce que quelque chose soit: puis, écarte la lampe.
Tu remarquas, on n'écrit pas, lumineusement, sur champ obscur l'alphabet des astres..." (Mallarmé)
Rédigé par : Alphea | 04 juin 2007 à 08:54
Quelques mots de remerciements très rapidement (je suis prise entre les réserves de la Bmo et l’exposition Rouché à Garnier, que je compte visiter pendant la pause repas). Vous m’aviez parlé de ce billet jeudi dernier, chez Laurence Mauguin, mais je le découvre aujourd’hui seulement -- agréablement surprise --
amicalement,
Déborah
Rédigé par : Déborah Heissler | 04 juin 2007 à 12:18