Le
9 juin 1898 naît à Prato, en Toscane,
Curzio Malaparte.
Image, G.AdC
Né de père allemand, Kurt-Erich Suckert choisit dès 1925 de signer ses écrits Malaparte. « Je veux être italien, non seulement dans mon esprit, dans mon physique, ce que je suis aussi, mais même dans la désinence de mon nom. Malaparte est mon fanion. »
En 1947, « après quatorze ans d’exil », Malaparte rejoint Paris, dans la « difficile période de l’après-libération ». Cette même année est publié en Italie Le soleil est aveugle (Il sole è cieco), premier récit de la trilogie de guerre qui comprend Kaputt (1944) et La Peau (La Pelle, 1949). Dans ce roman, dédié aux alpins français et italiens tombés dans les montagnes en juin 1940, le soleil demeure indifférent, impassible, aveugle aux souffrances humaines.
EXTRAIT du SOLEIL EST AVEUGLE
« Un je-ne-sais-quoi de féminin était vraiment dans l’air. Le capitaine se sentait dans les membres une étrange léthargie, il marchait comme étourdi. À un certain moment, il laissa le chemin muletier, pénétra dans le bois. Le murmure d’un ruisseau rendait les feuilles tendres et fragiles, encore durcies par le gel hivernal. La couleur du printemps (ou c’était une odeur, un parfum) naissait à peine dans l’air, encore vague, incertaine, presque hostile. Odeur d’eau, de glacier, odeur de dégel, de feuilles putrides, de terre pourrie. Le printemps, en montagne, c’est l’eau qui l’annonce de sa voix de femme, de son parfum de chair, de sa couleur de lait. Le capitaine s’enfonçait dans le bois, respirant profondément, le chapeau rejeté en arrière sur la nuque pour se libérer le front. Il s’étendit dans l’herbe, près d’une épaisse tache de gentianes, d’anémones pourpres, de violettes. Des violettes gigantesques, ouvertes comme des tournesols, droites sur leur tige hors de l’herbe délicate et molle, avec un impudique orgueil. Par milliers, en minuscules forêts, ici et là ; rien de chaste en elles : mais quelque chose d’audacieux, de sensuel. Elles semblaient de chair. Et les gentianes bleues, et certains chardons sans poils, chauves et doux au toucher. L’herbe très tendre, d’un vert tantôt pâle tantôt soutenu, coulait entre les doigts comme de l’eau. La mousse comme des cheveux. Un vent léger courait sur le pré, inclinant les fleurs en de suaves révérences, et celles qui résistaient davantage à ses amoureuses rafales, il les secouait avec grâce et prudence, presque avec crainte de leur faire du mal : jusqu’au moment où les gentianes et les altières violettes courbaient la tête avec respect, en un jeu libre et courtois.
Étendu dans l’herbe, le capitaine admirait les nuages roses qui se posaient légèrement sur les montagnes et écoutait la voix du torrent fuir sous les branches, s’évanouir, puis reprendre soudain plus proche, plus haute, plus vibrante, une froide voix métallique. Dans l’intervalle de ces brèves pauses, un son de cloche lui arrivait, profond ; la cloche, pensait-il, d’une vache errant dans le bois. Le capitaine se leva, se dirigea entre les arbres vers ce son doux et grave ; arrivé au torrent, entre les branches d’un mélèze, il vit sortir de l’eau, poussant devant lui une vache, un jeune homme nu : lequel après s’être mis à courir de-ci de-là dans le pré, en batifolant, vint s’étendre sur la rive au soleil, presque sous le ventre de la vache qui ruminait paisible et absorbée. Il lui sembla reconnaître ce visage puéril, envahi de poils brillants, blonds et frisés, ces épaules athlétiques, ce cou inséré avec violence dans la poitrine large et musclée. Oui, l’alpin de l’Edolo, celui qu’il avait vu passer à Morgex, le bras autour du cou d’une vache, l’alpin que le colonel Lavizzari appelait Calusia, que tous les garçons de Morgex appellent Calusia. Maintenant Calusia s’est agenouillé sous le ventre de la vache, il lui caresse les mamelles doucement, de ses mains de montagnard énormes et délicates, et un sourire de joie, un sourire ineffable, presque sévère, illumine son visage dur et puéril… »
Ph., G.AdC
« Un che di femminile era davvero nell’aria. Il Capitano si sentiva fluire per le membra uno strano sopore, camminava come stordito. A un certo punto, lasciò la mulattiera, entro nel bosco. Il mormorio di un ruscello faceva tenere e fragili le foglie, ancora indurite dal gelo invernale. Il colore della primavera (o era un odore, un sapore) nasceva appena nell’aria, ancor vago, incerto, quasi ostile. Odore d’acqua, di ghiaccio, odore di disgelo, di foglie putride, di terra fradicia. La primavera, in montagna, è l’acque che l’annuncia, con la sua voce di donna, il suo odore di carne, il suo colore di latte. Il Capitano si inoltrava nel bosco, respirando profondamente, il cappello giettato all’indietro sulla nuca per liberarsi la fronte. Si distese nell’erba, presso una folta macchia di genzianelle, di anemoni purpurei, di viole. Gigantesche viole, aperte come girasoli, erette sullo stelo fuor dell’erba delicata e molle con un loro impudico orgoglio. A migliaia, in minuscole selve, qua e là ; niente di casto, in loro : ma un che di audace, di sensuale. Parevan di carne. E le genzianelle azzurre, e certi cardi senza peli, calvi e dolci al tatto. L’erba tenerissima, di un verde ora pallido era denso, fluiva tra le dita come acqua. Il muschio come capelli. Un vento lieve trascorreva nel prato, piegando i fiori con soave inchino, e quelli, che più resistevanoalle sue amorose raffiche, scuoteva con grazia e prudenza, quasi timoroso di far loro del male : finchè le genzianelle e le altre viole curvavano il capo con riverenza, in un gioco libero e cortese.
Disteso nell’erba, il Capitano mirava le nuvole rosee posarsi lievi sui monti, e ascoltava la voce del torrente fuggir tra le fronde, svanire, per riprendere subito più vicina, più alta, più vibrante, una fredda voce metallica. In quelle brevi pause un suono di campano gli giungeva profondo, il campano, pensava, di qualche mucca vagante nel bosco. Il Capitano si alzo, avviandosi tra gli alberi verso quel suono dolce e grave ; e giunto al torrente, guardando tra le fronde di un larice, vide uscir dall’acqua, spingendosi innanzi una mucca, un giovane nudo : il quale, dopo essersi messo a correre qua e là per il prato, ruzzando, venne a distendersi sulla riva, al sole, quasi sotto il ventro della mucca, che ruminava mansueta e assorta. Gli parve di riconoscere quel viso puerile soffuso di una lucente peluria, bionda e ricciuta, quelle spalle atletiche, quel collo innestato con violenza nel petto ampio e musculoso. Sì, l’alpino dell’Edolo, quello che aveva visto passare a Morgex abbracciato a una mucca, l’alpino che il Colonnello Lavizzari chiamava Calusia, che tutti gli alpini dell’Edolo chiamavan Calusia, quello che aveva visto passare sotto la sua finestra con i campani appesi al collo, sì certo, lo riconosce, è Calusia, quelli che tutti i ragazzi di Morgex chiaman Calusia. Ora Calusia si è inginocchiato sotto il ventre della mucca, le accarezza le mammelle, dolcemente, con le sue mane di montanaro, grosse e delicate, e un sorriso di gioia, un sorriso ineffabile, quasi severo, gli illuminava il viso duro e puerile. »
Curzio Malaparte, Le soleil est aveugle [Il sole è cieco], Gallimard, Collection Folio bilingue, 2000, pp. 69 à 73.
Le meilleur livre, le plus savoureux, de Curzio Malaparte est Maudits Toscans* (à lire en langue toscane). Il est enterré près de Vaiano, au-dessus du village de ma mère : Figline di Prato, tristement célèbre pour ses 29 jeunes résistants pendus par les Allemands. Un village de libertaires, de communistes aussi, avec quelques fascistes moribonds aujourd'hui encore, -- mais où les vrais Toscans ont complètement disparu ! D'où l'importance de ce livre.
Là-haut sur une colline, dans un bloc de granit blanc (devenu gris) il repose, acheminé en hélicoptère...(du Malaparte !) et à côté de son mausolée du Spazzavento, véritable repère de serpents, est inscrit sur un mur :
" Je voudrais avoir ma tombe là-haut, au sommet du Spazzavento, pour lever de temps en temps la tête et cracher dans le courant froid de la tramontane."
( Un courant froid même les nuits d'août...)
("Malaparte ? Un vero Pratese con il cerbaccone e le palle**!" Ainsi parlaient les Anciens)
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* Ces sacrés Toscans, en Livre de Poche.
Le livre est épuisé en Italie... Malaparte ne l'est pas ! J'ai choisi Malaparte, disait-il, car Bonaparte a mal fini ! Alors, Malaparte aura plus de chance...
** (le cerveau et les couilles)
Venez voir la patrie de Filippino Lippi, la chaire de Michelozzo et de Donatello... et Antonio Mattei !
E viva Prato !
Rédigé par : Serge Venturini | 09 juin 2007 à 14:22
Une scène finale d'hélicoptère et de mort à la fin de Il Prato des frères Taviani, tourné à San Gimignano où A. et moi avions pu voir le film en avant-première.
Rédigé par : Yves | 09 juin 2007 à 16:40
OT-Off Topics
Caru Ivucciu,
Je me pose de plus en plus cette question : l'homme (au sens générique) de l'avenir, sera-t-il "transhumain" ? J'aimerais avoir votre avis là-dessus. J'ai fait une longue recherche sur le net, et cela me semble une idée fort intéressante. Vous savez que le troisième tome de ma poétique sera celui du "devenir transhumain..."
Qu'en pensez-vous ? Des amis de TDF pourraient peut-être nous éclairer aussi ?
Amicizia e mali(ci)zia
Bon anniversaire à nostra fata !
Rédigé par : Serge Venturini | 09 juin 2007 à 18:29