Le 18 juin 1903 naît à Saint-Maur-des-Fossés (Marne) Raymond Radiguet.
Portrait de Raymond Radiguet par Valentine Hugo
Poète et journaliste précoce, Raymond Radiguet meurt très jeune, emporté à l'âge de vingt ans par la fièvre typhoïde (12 janvier 1923). Familier de Montmartre et du Montparnasse littéraire des années 1920, ami de Max Jacob et de Cocteau, proche de l'esprit d'Alfred Jarry, Raymond Radiguet publie son premier poème dans Le Canard enchaîné en mai 1918, puis Les Joues en feu, recueil de vers, en 1920. En 1921, Les Pélicans, pièce loufoque en deux actes, est présentée au théâtre Michel.
Mais c'est avec la publication du Diable au corps, rédigé en grande partie au cours de l'été 1920 et publié par Grasset peu de temps avant la mort de l'auteur, en 1923, que Radiguet atteint une grande notoriété. Inspiré d'une aventure vécue sans doute à la fin de la guerre, Le Diable au corps est aussitôt suivi, en 1924, par Le Bal du comte d'Orgel. Ce roman « s'inscrit sous une triple égide littéraire » : Tristan et Yseult, La Princesse de Clèves et Les Liaisons dangereuses. Raymond Radiguet définissait Le Bal comme un « roman d'amour chaste, aussi scabreux que le roman le moins chaste. »
EXTRAIT du BAL DU COMTE D’ORGEL
Ce fut dans sa chambre que Mahaut reçut Mme de Séryeuse. Elle avait fait dire qu'elle n'était là pour personne, sauf pour elle. Les deux femmes parlèrent d'abord de choses indifférentes.
Mme d'Orgel ne savait comment aborder un tel sujet. Devant ce silence, Mme de Séryeuse se dit: « Il faut que ce soit plus grave encore que j'imagine. » Et, persuadée de ses torts, elle commença, timide, comme si c'était elle qui eût été en faute :
- Je n'ose vous apporter mes excuses au sujet de mon fils...
- Oh ! madame ! Quelle bonté ! s'écria Mahaut. Et, mue par son coeur, elle prit les mains de la mère.
- Sur ce terrain glissant, comme des patineuses novices, ces deux femmes pures rivalisèrent de maladresse.
« Non, non, disait Mahaut, je vous affirme que François est étranger à ce drame. »
- Mme de Séryeuse, convaincue que c'étaient là les derniers scrupules de Mahaut, s'écria qu'elle savait à quoi s'en tenir sur les sentiments de François.
- Que vous a-t-il dit ? demanda Mme d'Orgel.
- Mais je le sais enfin ! répliqua Mme de Séryeuse.
- Mais quoi ?
- Qu'il vous aime.
Mme d'Orgel poussa un cri. Mme de Séryeuse eut vraiment le spectacle de la détresse humaine. Tout le courage de Mahaut venait-il d'une espèce de certitude que François ne l'aimait pas ? Une joie folle éclaira une seconde son visage, avant que Mme de Séryeuse pût voir cet être déraciné, secoué par la douleur. François arrivant à cet instant, elle était à lui. Rien n'aurait pu l'empêcher de tomber dans ses bras, pas même la présence de sa mère.
Mme de Séryeuse comprit tout. Effrayée, elle chercha vite à se reprendre.
- Je vous conjure, s'écria Mahaut, ne m'arrachez pas ma seule joie, ce qui me fera supporter mon devoir. Je ne savais pas qu'il m'aimât. Heureusement mon sort ne m'appartient plus. Je vous demande donc encore davantage de me cacher François. S'il m'aime, inventez ce que vous voudrez, mais ne lui dites pas ce qui est vrai ; nous serions perdus.
À parler de son amour, et à la mère de celui qu'elle aimait, Mme d'Orgel se complaisait presque. Après ses derniers transports :
- Il doit venir, ce soir, à notre dîner, dit-elle d'une voix plus assurée. Comment l'en empêcher ? Je ne pourrai le revoir sans m'évanouir.
Au fond, Mme de Séryeuse préférait agir sans retard. Encore sous l'influence de cette scène, elle convaincrait mieux François. Elle le trouverait sans doute à sept heures chez les Forbach.
- Il ne viendra pas, dit-elle. Je vous le promets.
Ce qui, dans cette scène, n'eût pas le moins stupéfait Séryeuse, eût été l'attitude de sa mère, qu'il croyait froide. Le spectacle de cette passion réveillait chez elle la femme endormie. Elle avait les larmes aux yeux. Elle embrassa Mahaut. Toutes deux sentirent leurs joues brûlantes et mouillées. Quelque chose de presque théâtral grisait Mme de Séryeuse.
- C'est une sainte, se disait-elle, en face du calme que donnait à Mahaut la certitude d'être aimée.
Raymond Radiguet, Le Bal du comte d'Orgel, éditions Grasset, 1924.
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